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Une journée particulière

Grâce à Christiane Taubira et à sa fulgurante défense des identités locales, un revirement complet s’opéra en France : toutes les petites patries renaquirent et jusqu’aux plus petits villages les autochtones prirent le pouvoir. Félicités !

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Une journée particulière

C’était un de ces beaux dimanches de printemps, et c’était le jour des élections municipales au Thôt, petit village du Cotentin. Pourtant, tous les majeurs qui y habitaient n’étaient pas pour autant appelés à venir remplir leur devoir électoral, non plus d’ailleurs que tous les citoyens français inscrits sur les listes nationales, et qui venaient dans ce même bureau de vote unique lors des référendums et des consultations nationales. Car dans la France de 2030, seuls quelques électeurs pouvaient en effet se réclamer – et se féliciter – de l’application de la « Loi sur les populations autochtones » qui avait permis de mettre en place, à toutes les élections locales, un corps électoral restreint aux seules « populations intéressées ».

Tout était parti, on s’en souvient, de la situation néo-calédonienne, première véritable application d’un « droit du sang » pour l’attribution d’une citoyenneté locale, avec un texte qui réservait le droit de vote aux élections locales aux personnes résidant dans le territoire avant 1998 et à leurs descendants. C’était la base juridique, indispensable comme précédent, mais rien n’aurait sans doute été possible sans le communiqué de presse de l’une des plus célèbres touiteuses de la Ve République, Christiane Taubira elle-même, qui, en mai 2024, alors que le Caillou s’embrasait, déclara : « Un peuple, en ces lieux, refuse de décliner, de dépérir, de s’éteindre. Ou simplement, de se faner, de renoncer à lui-même. Ils sont ainsi, les peuples : attachés à leurs racines, leurs cultures, leurs mythes, leurs histoires. Leur géographie. » « On est chez nous » aurait pu conclure la disciple de Glissant, « et donc c’est à nous, et à nous seuls qu’il appartient de décider du sort de ce qui doit rester notre monde ».

Dans une France en proie au doute identitaire, ce fut une prise de conscience générale. Les autres territoires d’Outre-Mer, d’abord, voulurent tous avoir leurs propres corps électoraux restreints. À cette fin, les dates les plus folles circulèrent un temps, et l’on évoqua même celle de leur prétendue « découverte » par des Occidentaux par trop ethnocentrés – ce qui réservait donc le droit de vote aux seuls véritables « autochtones » immémoriaux. Las, il fallut vite déchanter : la main immonde – nécessairement immonde – de l’homme blanc avait aussi posé le pied sur des territoires vierges (La Réunion, Saint-Pierre et Miquelon), en avait conquis d’autres dont les populations autochtones avaient ensuite disparu (Antilles). Le pire était que sur d’autres enfin ceux qui revendiquaient avec le plus de force leur indépendance n’étaient en fait que des nouveaux arrivés, postérieurement même (sauf selon les thèses de certains savants africanistes et rappeurs), aux colonisateurs leucodermes, dont la Guyane, si chère à celle qui était déjà devenue dans l’imaginaire national « Tata Christiane ». On fixa donc des dates plus récentes.

Picards et Bourguignons

Une fois lancé, le feu s’étendit logiquement. Les Corses, pour faire face à l’invasion des continentaux sur l’île de beauté, leur imposaient depuis longtemps comme condition de résidence d’aimer le fromage et les chants corses, accessoirement celle de verser l’impôt fraternel et solidaire dit « anti-nuits blanches », mais on ajouta vite, pour participer à ces élections locales sur le déroulement desquelles les juges évitent de trop se pencher, l’obligation d’être né sur le territoire avant 2000. Les Basques et les Bretons, grands chanteurs eux-aussi, et usant de leur connaissance en matière d’utilisation du C4, obtinrent vite les mêmes avantages. Puis ce furent les Catalans – ce qui provoqua le sursaut des Provençaux –, puis les Alsaciens – ce qui provoqua celui des Lorrains –, puis les Picards et Bourguignons se réveillèrent, puis les Normands levèrent l’oriflamme ducal, et il n’y eut bientôt plus une région de France qui n’eut son corps électoral restreint.

Le mouvement pouvait-il s’arrêter là ? Partant du principe que l’on est toujours le horsain de quelqu’un, la Normandie se montra à la pointe d’une extension des revendications, et sous la pression vite devenue générale on descendit jusqu’au plus petit niveau de consultation locale : rapidement, départements et communes purent, pour les élections qui les concernaient, établir leur propre corps électoral restreint. Consulté au sujet de ces textes, le Conseil constitutionnel considéra que si elles pouvaient certes sembler déroger à un principe d’égalité pour un œil naïf, c’était seulement par une mauvaise compréhension de ce dernier : l’égalité veut en effet que l’on traite également des choses égales, mais aussi inégalement des choses inégales. Or un horsain (le mot était rapidement entré dans le vocabulaire juridique) ne saurait avoir le même intérêt pour le lieu où il est venu résider, que ce soit par hasard, par nécessité ou même par goût, que celui dont les ancêtres l’ont bâti « avec leurs mains dessus leurs têtes », comme le chantait un poète ardéchois enraciné.

Charles-André, horsain cancellé

Et c’était ainsi que, pour une fois, Charles-André, heureux possesseur d’une résidence depuis cinq ans dans ce village, et qui aimait tant déambuler sur la place du marché en pantalon rouge et marinière, donnant volontiers son avis à ces pauvres ploucs malheureusement incapables d’en saisir les subtilités, sur ce qu’il convenait de faire pour que la localité « si vraie et si typique » puisse quand même « entrer dans le XXIe siècle », avait été convié à s’occuper de ce qui le regardait. Les conséquences locales furent, comme partout, assez nettes. C’est ainsi que le conseil municipal, échaudé par la mode imposée par quelques aigrefins plus soucieux de leurs comptes en banque que du respect des sites, interdit toute construction de « paillotes festives » sur ce rivage de la Manche ; que les zones inconstructibles le restèrent ; que les locations saisonnières qui transformaient le village en succession d’Airbnb furent sévèrement taxées et leur usage soumis à des règlements draconiens, un garde champêtre veillant à leur respect avec toute la rigueur souhaitable.

De plus, et ici encore comme en Nouvelle-Calédonie, la « citoyenneté locale » emportait des conséquences autres que celles touchant au droit de vote. L’accès à l’emploi public local fut facilité à ses titulaires, comme aussi la possibilité d’ouvrir un commerce. On vota par ailleurs des prêts préférentiels aux autochtones pour leur permettre de conserver leurs biens de famille. On rétablit le retrait lignager qui permettait à un membre d’une lignée de racheter un bien à quelqu’un qui n’en faisait pas partie. On interdit le rachat de terres agricoles par des multinationales de l’agroalimentaire, des étrangers et des membres des directions des Safer pour en transformer une partie en communs à destination des autochtones. Ainsi, grâce à l’élan magnifique donné par la poétesse ultime, faisant siennes les volutes éblouissantes de mots de Tata Christiane, vote après vote, la France des patries charnelles reprenait ses droits.

 

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