Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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Jusqu’à ces derniers jours, la Calédonie faisait figure de modèle dans un monde terrassé par la COVID 19. Le virus ne circulait pas et le territoire n’avait subi que quatre semaines de confinement strict, en mars et avril 2020, avant de retrouver une vie totalement normale. Pendant dix mois, les calédoniens étaient pratiquement les seuls habitants de la planète à ne pas porter de masque, à ne pas être soumis aux gestes barrières et à pouvoir sortir et manger au restaurant.
Une situation rendue possible par une quasi fermeture des frontières aériennes et maritimes, et à un dispositif très strict de quatorzaine, dans les hôtels réquisitionnés par les autorités, pour tous les arrivants sur le territoire. Même le ministre des outremers, avait dû se soumettre à cet isolement. En déplacement en Nouvelle-Calédonie, en octobre dernier, Sébastien Lecornu, avait passé ses deux semaines de quatorzaine, à l’intérieur de la résidence du haut-commissaire.
Cette exception calédonienne a brutalement pris fin, le 8 mars, après qu’un cas autochtone ait été détecté en provenance de Wallis et Futuna, l’archipel voisin, avec lequel une bulle aérienne avait été ouverte. La réaction a été immédiate et un confinement strict a été décrété après la détection de premiers cas de Covid, hors quatorzaine. L’objectif est de retrouver le plus tôt possible le statut envié de collectivité indemne du virus.
La crise politique, elle, sera plus compliquée à résoudre. La Nouvelle-Calédonie est, en effet, engluée dans un incroyable imbroglio dont personne ne sait, pour l’instant, comment elle pourra sortir. Ce sont les indépendantistes du FLNKS qui en sont à l’origine. Début février, ils ont démissionné du gouvernement pour en provoquer la chute et en prendre le contrôle. Mais depuis, ils sont dans l’incapacité d’élire le nouveau président de l’exécutif.
Les deux principales composantes du FLNKS, l’Union calédonienne et l’UNI, ont en effet de très fortes rivalités internes et chacune veut imposer sa suprématie. Les indépendantistes sont donc incapables de trouver un accord, ce qui risque de provoquer une véritable paralysie de l’institution. En attendant, c’est le gouvernement sortant, présidé par le loyaliste Thierry Santa, qui gère les affaires courantes. Cette crise institutionnelle intervient, en outre, alors que la Nouvelle-Calédonie n’a pas encore voté son budget annuel. Elle sera incapable de le faire avant la date butoir du 31 mars et c’est donc le haut-commissaire, représentant de l’Etat, qui arrêtera le budget de la collectivité. Un fait inédit depuis des décennies, dans ce territoire qui bénéficie d’une très large autonomie.
Et pour compliquer encore les choses, la situation économique est extrêmement dégradée, en raison notamment des difficultés de la filière nickel dont la Nouvelle-Calédonie est l’un des quatre producteurs mondiaux. L’usine du Sud est à l’arrêt, après avoir été au cœur de très vives tensions à l’occasion de son rachat que contestaient les indépendantistes qui ont multiplié les coups de force et les sabotages. La SLN, qui est le premier employeur du territoire, est en grande difficultés financières et l’usine du Nord, KNS, se heurte à des problèmes de production. La Nouvelle-Calédonie subit aussi, les conséquences financières et économiques de la fermeture de ses frontières, et ses comptes sociaux affichent un déficit abyssal qui devrait continuer à se creuser en raison de la mise en chômage partiel de nombreux salariés et sous-traitants du nickel.
Au chapitre politique, le fait nouveau, qui interpelle les observateurs extérieurs, c’est que les indépendantistes contrôlent désormais quatre des cinq institutions du territoire. Ils présidaient déjà deux provinces sur trois, le Nord et les Iles, mais depuis août 2020, ils sont aussi à la tête du Congrès, qui est l’organe législatif, et désormais, ils sont donc majoritaires au sein du gouvernement local.
Mais ce constat ne doit pas faire oublier qu’ils sont minoritaires, dans la population et dans les urnes, comme l’ont prouvé les deux premiers référendums d’autodétermination. La récente prise de contrôle du Congrès et du gouvernement s’est faite au prix d’une alliance avec un parti charnière, l’Eveil océanien, un parti communautaire censé représenter les Wallisiens et Futuniens. Fort de ses trois élus, ce petit parti – dont l’électorat est pourtant très majoritairement favorable au maintien dans la France – a choisi de troubler le jeu face aux deux grands blocs qui se font face, les Loyalistes et les Indépendantistes. Ce sont ses voix qui ont permis aux indépendantistes d’obtenir la présidence du Congrès – où ils ne disposent pourtant que de 26 sièges sur 54 – et d’obtenir un membre supplémentaire au gouvernement.
Mais la surreprésentation des indépendantistes dans les institutions a aussi d’autres causes, plus profondes. Depuis la création des provinces, il y a une trentaine d’années, on a assisté à un exode des populations du Nord et des Iles vers la Province Sud, la plus peuplée et la plus développée. Cela a créé un déséquilibre démographique qui n’a jamais été corrigé avec, pour conséquence, une représentativité démocratique qui n’est plus conforme à la réalité. Un élu de la Province Sud représente beaucoup plus d’électeurs qu’un élu du Nord ou des Iles.
Cette sur représentativité indépendantiste est également la conséquence du droit électoral spécial qui existent en Nouvelle-Calédonie. Il existe trois corps électoraux :
Ce dispositif singulier – qui n’est toléré par les instances internationales que parce qu’il est transitoire – exclut du droit de vote des milliers de calédoniens, au bénéfice des indépendantistes, qui ont toujours fait du corps électoral, l’un de leurs chevaux de bataille.
Le blocage institutionnel que vit actuellement la Nouvelle-Calédonie est d’autant plus préoccupant que le 3ème et dernier référendum d’autodétermination doit être organisé avant octobre 2022. Une échéance déterminante qui doit conclure le processus engagé, il y a plus de trente ans, après les violents événements de la fin des années 80. Signés en 1988, les accords de Matignon ont ramené la paix, par un partage du pouvoir. Dix ans plus tard, l’Accord de Nouméa, a organisé un dispositif de transfert progressif de compétences à la Nouvelle-Calédonie.
Au terme de cet Accord, la France ne détient plus que les compétences dites « régaliennes » : la défense, la diplomatie, la justice, l’ordre public et les finances, et les Calédoniens doivent décider, par référendum, du transfert ou non de ces compétences. En clair, ils doivent choisir de rester ou non dans l’ensemble français. Mais en réalité, l’Accord de Nouméa se termine par une succession de référendums d’autodétermination. Le texte prévoyait que si le premier référendum rejetait l’indépendance, un deuxième référendum devait avoir lieu et que si la réponse était encore négative, une troisième consultation pouvait être organisée. On en est là en ce début 2021.
Le premier référendum du 4 septembre 2018 a rejeté l’indépendance par une majorité de 56,7 %. Deux ans plus tard, lors du deuxième référendum du 4 octobre 2020 le non à l’indépendance a recueilli 53,3 % des suffrages. Et même si une majorité de Calédoniens a choisi, à deux reprises, le maintien dans la France, une 3e et ultime consultation peut être organisée avant octobre 2022. Pour cela, elle doit être demandée par un tiers des élus du Congrès.
Ces trois référendums démontrent, en réalité, l’impasse dans laquelle se trouve la Nouvelle-Calédonie au terme d’un accord signé, pour 20 ans, en 1998. 23 ans plus tard, personne ne sait comment en sortir alors que les référendums successifs ont révélé une triple fracture politique, géographique et ethnique, sans offrir aucune solution d’avenir. Les provinces Nord et Iles – à large majorité kanak – ont en effet voté massivement en faveur de l’indépendance, alors que la Province Sud – qui regroupe 75% de la population – a voté massivement en faveur du maintien dans la France. Un 3e référendum viendrait cristalliser ce résultat mais il n’apporterait aucune réponse quant au futur de la Nouvelle-Calédonie.
Il n’y a pas, en effet, de majorité pour l’indépendance mais aucun des deux camps n’acceptera le résultat, quel qu’il soit, et ces consultations à répétition ont en outre ravivé les tensions entre des communautés qui, depuis trente ans, avaient appris à vivre et travailler ensemble. La logique aurait été d’imaginer, dans le prolongement des accords de Matignon et de Nouméa, une solution institutionnelle novatrice, capable de rassembler le plus grand nombre. C’est la « solution consensuelle » que le sénateur Pierre Frogier a défendue, en vain, depuis 2009. Il propose aujourd’hui d’imaginer une « différenciation provinciale » qui donnerait aux provinces de très larges compétences, en prenant en compte les spécificités de chacune d’entre elles. Quoi qu’il arrive, il faudra un nouveau statut alors que l’Accord de Nouméa se termine, au plus tard en 2022 mais, depuis des mois, le dialogue, sur l’avenir institutionnel est au point mort.
Le ministre des Outremers, Sébastien Lecornu, tente de le relancer et il affirme que le Gouvernement de la République veut trouver, par le dialogue et dans le respect de l’état de droit, une nouvelle solution consensuelle. Pour des raisons à la fois économiques et géopolitiques, à cause des convoitises de la Chine sur le Pacifique Sud, Paris ne semble plus favorable à une indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Si Emmanuel Macron a qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité », il a aussi déclaré, à Nouméa, en mai 2018, que « la France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie. »
Illustration : le 17e gouvernement, à majorité indépendantiste, est incapable d’élire son président.