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Nouvelle-Calédonie : retour sur une crise

Les kanaks sont-ils vraiment “colonialement opprimés” depuis 1871 ? Ou les kanaks sont-ils en train de s’émanciper de leurs propres codes traditionnels ? Aucune prétendue identité kanake ne peut justifier qu’on menace la paix civile.

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Nouvelle-Calédonie : retour sur une crise

Les récents événements en Nouvelle-Calédonie marqués par des émeutes ont rappelé les années explosives des années 1980, dont le point culminant fut la prise d’otage d’Ouvéa qui donna lieu à l’intervention du GIGN. À  ’origine de cette nouvelle crise, la volonté affichée de l’exécutif de mettre fin au gel du corps électoral. Dans le sillage des accords de Nouméa de 1998, qui avaient débouché sur une modification de la Constitution, les personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie après une certaine date ne pouvaient voter à certaines élections locales comme celles visant à désigner les membres du Congrès et ceux des assemblées des trois provinces néo-calédoniennes. Ce gel participait d’un certain équilibre et du souci de rassurer la partie kanake, qui craint d’être noyée par des afflux réguliers de Français ou d’autres populations. En 1998, ce gel n’avait pu être obtenu que moyennant une révision constitutionnelle controversée qui choqua certains esprits mais qui fut adoptée en raison d’un consensus entre la droite et la gauche de l’époque. Personne n’avait en effet envie de raviver les braises en fragilisant une démarche initiée en 1988 : Jacques Chirac et Lionel Jospin entérinèrent donc un processus dans lequel les Néo-Calédoniens devaient se prononcer sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Par la suite, en 2007, le corps électoral fut gelé à l’année 1998. Une telle démarche est anachronique et, curieusement, n’a pas fait l’objet d’autant de critiques que la situation coloniale dénoncée. Dans la modernité, autant que les sujétions inacceptables que représentent aux yeux des modernes les procédés de colonisation (les populations parquées, les détentions sans fondement judiciaire, les remembrements fonciers unilatéraux, etc.), la privation du droit électoral pour des motifs flous et obscurs ne passe pas : c’est juste discriminatoire. Cet étau a fini par craquer après trois référendums successifs (en 2018, en 2020 et en 2021) refusant l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Pour l’exécutif, il fallait tourner la page et ce d’autant plus que ses relais locaux étaient favorables à ce dégel. À tous ceux qui s’étonnent de voir les loyalistes du côté du président de la République, on peut souligner qu’en outre-mer et que naguère dans les colonies, être en faveur du maintien dans le pays d’origine, c’est se mettre avec son chef, et réciproquement. Ainsi, pendant la Guerre d’indépendance américaine, les loyalistes étaient tout autant des partisans du maintien dans le Royaume-Uni que des soutiens au roi George III dont ils se revendiquaient comme sujets. Il n’est donc pas étonnant que l’un des députés les plus en pointe contre l’indépendance et les émeutiers fasse aussi partie du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale.

Une insurrection anticoloniale ?

Le narratif soutenu par la gauche serait que, depuis 1871, les kanaks sont dans une situation d’oppression coloniale. Une telle vue est réductrice, car elle amalgame les épisodes du passé (les révoltes de 1884, de 1917, les crises et tensions des années 1980) aux problèmes actuels. Ce serait oublier le processus de Matignon initié en 1988 qui aboutit à un accord entre indépendantistes et loyalistes et, de fait, à un partage du pouvoir entre élites caldoches et kanakes, ces dernières prenant en main le verrou économique du nickel. Il existe une bourgeoisie kanake dont le discours anticolonial ne saurait faire oublier sa notabilisation auprès de la République. Il y a même eu un sénateur indépendantiste élu en 2023 et qui siège dans le groupe communiste, le CRCE, qui, pour l’occasion, a dû rajouter le nom « Kanaky » à son appellation. Mais ce serait aussi faire fi des évolutions économiques et sociales qui ont marqué la Nouvelle-Calédonie depuis 30 ans. L’espace néo-calédonien s’est reconfiguré. Depuis 1988, la Nouvelle-Calédonie a connu des phénomènes d’exode rural marqué par l’installation de populations dans les centres urbains ou à leurs abords. Par définition, il n’existe plus d’instruments qui cantonnent les populations : en ce sens, on est bien dans une situation postcoloniale. Les populations peuvent se déplacer et certains kanaks l’ont fait. Il n’est pas étonnant que des barrages routiers aient été dressés aux environs de Nouméa : une jeunesse kanake, qui échappe aux codes traditionnels (la coutume, les châtiments corporels…), est en situation d’échec social, ne pouvant intégrer le monde universitaire et professionnel. Dans les années 1980, les barrages n’étaient pas établis dans les zones plus ou moins peuplées de caldoches. Il y a quelques années, certains observateurs notaient l’apparition d’une jeunesse « déracinée ». Si elle peut toujours se réfugier dans un discours anticolonial de façade, elle est à mi-chemin entre la vie moderne, consumériste, à l’occidentale, et la vie traditionnelle. Ainsi, le système des châtiments corporels ne fonctionne plus. Il était pourtant toléré il y a encore quelques années. Quelque chose a bien changé en Nouvelle-Calédonie et il suffisait d’un prétexte pour que les choses s’embrasent. Si on peut noter qu’en métropole, ces évolutions n’ont pas été appréhendées, il semble aussi qu’en Nouvelle-Calédonie on n’ait guère été visionnaire. À ce titre, dans les récentes émeutes, on notera la perte de poids des indépendantistes qui ne sont plus en connexion avec les jeunes émeutiers.

Une illusion coutumière

Pour certains, la solution résiderait dans le retour aux us et croyances traditionnels. Le mode de vie des kanak avait été reconnu par les accords de Nouméa de 1998, mais il reste fragile et peu adapté à une situation d’évolution des mœurs dans l’archipel néo-calédonien. La République a cru intelligent d’apaiser la situation en entretenant un système coutumier. On ne peut être que sceptique sur une tentative qui risque d’être vouée à l’échec. Tout d’abord, un système traditionnel entretenu ne peut être que recréé et ne pas correspondre complètement à l’identité qu’il vise à perpétuer. Ce serait ainsi oublier que l’identité kanake a d’abord été un phénomène tribal (au XIXe siècle, quand les Européens rencontrèrent les populations autochtones) et que le discours nationaliste est surtout apparu, en se radicalisant, au cours des années 1970 sous l’influence d’un mouvement de fond que l’on vit dans le monde occidental. C’est le risque de tomber dans une vision « kitsch » et folklorique de l’identité kanake, qui a forcément été travaillée et reconstruire à force de nombreux contacts avec les Européens. En outre, avec une modernité de plus en plus omniprésente (les réseaux sociaux, la consommation…), il est difficile d’imaginer que ce qui restait encore dans le substrat mélanésien traditionnel ne soit pas affecté. Peut-on sérieusement, pour remettre de l’ordre, demander le retour aux châtiments corporels dans une société qui se veut moins contraignante ? Comment, au final, invoquer les droits de l’homme en faveur des populations kanakes en réhabilitant des pratiques qui les contredisent ? Comme si le discours anticolonial n’avait pas ses limites… Ce qui se passe depuis quelques semaines, c’est au fond la difficulté de vivre dans un univers d’entre-deux : entre la société traditionnelle et la société européenne et/ou moderne. Que signifie la décolonisation si elle se traduit par l’impossibilité de restaurer des cadres traditionnels déjà entamés ou de les entretenir sous perfusion, mais avec le risque d’une occidentalisation encore accrue ? On ne peut que regretter l’absence de réflexion sur une situation qui est devenue explosive, mais dont les soubassements auraient mérité d’être pris en compte. C’est cette absence de vue sur le long terme qui risque d’entamer un processus de révision constitutionnelle qui entendait modestement élargir le corps électoral pour les provinces néo-calédonienne : l’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté un projet de loi constitutionnelle en termes identiques en avril et mai 2024. Sera-t-il sacrifié au nom d’un souci de paix civile ?

 

Illustration : Kanak refusant dignement d’être invisibilisé.

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