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Donoso Cortés ou les fondements théologiques du politique

Auteur aussi oublié que méconnu de l’histoire des idées, Juan Donoso Cortés (1809-1853) fait figure de météorite de l’histoire de la pensée, tant par ses réflexions fulgurantes et d’une étonnante prophétie sur le libéralisme que par la brièveté de son œuvre écourtée par sa disparition précoce à l’âge de 44 ans, lors même qu’il sut, de son vivant, compter sur l’estime de Napoléon III, du Prince de Metternich ou encore du Tsar Nicolas Ier .

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Donoso Cortés ou les fondements théologiques du politique

La grande affaire de Donoso Cortés était le salut de l’homme et, partant, des sociétés politiquement organisées. Dès l’instant que l’ordre traditionnel fondé sur les valeurs du catholicisme était renversé, se posait la question du devenir de l’homme ici-bas, posée comme condition préalable à son accès au Ciel. Le débat n’est pas vain et, sans doute, est-ce le plus important de tous. L’on voit poindre le grief d’augustinisme politique qui biaiserait la critique donosienne de la société libérale advenue consécutivement aux grandes révolutions, celle, française, de 1789, certes, mais aussi et surtout celles, éruptives mais non moins profondes et symptomatiques, des années 1848-1849 qui secouèrent convulsivement l’Europe. Ce serait se méprendre car, soutenu et éclairé par une foi inébranlable, Donoso ne cherchait nullement à établir une quelconque théocratie et ne se faisait le chantre d’aucun sacerdotalisme – deux dévoiements purs de la pensée augustinienne. Tout au plus – et c’est bien ce qui constitue l’essentiel de sa réflexion –, allant plus loin qu’un Joseph de Maistre, s’attachait-il à démontrer qu’en s’écartant du catholicisme, l’homme des Lumières se fourvoyait autant dans les opacités mouvantes et indéterminées du libéralisme que dans les dogmes égalitaires de la contre-théologie socialiste.

On ne peut saisir, philosophiquement et théologiquement, l’indissociable lien unissant politique et théologie, si l’on tourne le dos au postulat selon lequel la communauté humaine prend place dans un ordre préétabli sur lequel elle n’a nulle prise autre que celle d’accomplir le dessein naturel qui la conduit à son entier développement comme à sa propre fin – suivant une direction téléologique et jusqu’à son terme –, ce, conformément aux prédispositions intrinsèques gouvernant sa condition. Non pas que l’homme soit le jouet inconscient et involontaire d’une quelconque Providence qui l’assujettirait à ses caprices ; sed contra, loin d’être le fruit d’une autoréalisation spontanée et démiurgique, la nature humaine s’inscrit dans un ordonnancement de l’univers qui la dépasse. Pour Donoso, cet ordre ne peut être que divin. Aussi s’étonne-t-il, aux premières lignes de son Essai sur le catholicisme, le libéralisme et le socialisme, de ce que Proudhon se fût, lui-même, montré surpris – non sans une certaine candeur – « qu’au fond de notre politique, nous trouvions toujours la théologie ». Depuis saint Augustin – voire plus haut encore, si l’on remonte au Christ et à saint Paul –, les rapports de la Cité de Dieu avec la cité terrestre, et plus spécifiquement de leur préséance et de leurs prérogatives partagées ou exclusives, sont autant de questions préliminaires à la structuration de la cité, du Concordat de Bologne à celui consenti par Napoléon, du Ralliement jusqu’à notre litigieuse laïcité contemporaine.

Les grandes révolutions, des ruptures théologico-politiques

L’on retrouve dans la conception théologique de la politique – et, inversement, dans la conception politique de la théologie – de Donoso, la figure christique, humble et chevaleresque du roi saint Louis. Ce dernier, lors de son entrevue avec Innocent IV à Cluny, qui s’obstinait à l’enrégimenter dans une querelle contre l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, l’invitait, au contraire, à ne pas faire usage de ses prérogatives spirituelles dans le domaine temporel. La papauté n’avait cessé de faire et défaire les souverains au trône de l’Empire romain germanique. Saint Louis tentera de rappeler au successeur de Pierre que si le temporel reste soumis au spirituel, est-ce uniquement dans le champ de la foi et non dans celui ressortissant au bien commun, apanage exclusif du monarque séculier. Si le spirituel irrigue le temporel, c’est à la condition qu’ils soient distincts l’un de l’autre, la confusion de deux ne pouvant susciter que la nécessaire prééminence de l’un sur l’autre.

De ce point de vue, il n’est pas vain d’avancer que les grandes révolutions sociales et politiques occidentales et européennes des XVIIIe et XIXe siècles se sont d’abord présentées comme des ruptures théologico-politiques – contre l’Église au profit de la Raison ou pour la sagesse des masses appuyée sur l’Évangile, comme dans la jeune Amérique du Nord. Dans l’esprit de Donoso Cortés, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, attendu qu’il considère que le jaillissement des révolutions de 1848 – dont 1789 fut le plus évident prodrome – indique un changement d’ère marqué, principalement, par des préoccupations humaines et mondaines (la liberté individuelle, l’égalité, l’État de droit, etc.), en tout cas rationalistes et négatives – « philosophistes », dans l’acception donosienne –, aux antipodes des « affirmations souveraines du catholicisme ». Or, il convient de reconnaitre que notre homme, au-delà des accents catastrophistes et apocalyptiques des discours politiques enflammés qu’il tenait aux Cortes Generales, ne pouvant être pris en défaut de cohérence, ne se trompait pas totalement : « la négation de Dieu, source et origine de toute autorité, étant admise, la logique exige la négation absolue de l’autorité même ; la négation de la paternité universelle entraîne la négation de la paternité domestique ; la négation de l’autorité religieuse entraîne la négation de l’autorité politique. Quand l’homme se trouve sans Dieu, aussitôt le sujet se trouve sans roi et le fils sans père ». Au miroir de la société contemporaine, les imprécations donosiennes ont valeur d’oracles…

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