Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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Si on lit la Constitution de 1958, le Gouvernement est responsable devant les parlementaires avec la faculté pour l’Assemblée nationale de refuser la confiance ou de voter la motion de censure.
Pour beaucoup d’experts de notre texte constitutionnel, le régime de la Ve République continuerait à s’inscrire dans la perspective du régime parlementaire, malgré son caractère hybride et le rôle politique d’un chef de l’État élu au suffrage universel direct. Dans les faits, la politique de la nation est déterminée et conduite par le président, nonobstant la lettre même du texte constitutionnel. Certes, il est vrai que l’Assemblée nationale peut toujours renverser le Gouvernement : il lui suffit notamment d’adopter, dans les conditions requises par l’article 49, alinéa 2, une motion de censure. Sur le papier, il n’y aurait rien à redire : les élus désignés par la Nation peuvent toujours briser cette confiance. Mais si on examine la pratique, cette possibilité est restée théorique en raison de tentatives infructueuses. Mis à part le gouvernement de Georges Pompidou, renversé le 5 octobre 1962, les motions de censure n’ont jamais réussi à obtenir la majorité absolue des députés. Même pendant le récent épisode houleux de la réforme des retraites, la motion de censure qui avait réuni le 20 mars 2023 les votes de tous les groupes d’opposition n’a pas réussi à déboulonner une Élisabeth Borne qui, affaiblie, a pu continuer à rester à Matignon tout en présentant les feuilles de route successives de son gouvernement sur l’énergie, sur le harcèlement scolaire… En d’autres temps, le crédit politique de l’intéressée étant épuisée, elle serait partie. Idem pour ses collègues qui ont perdu des plumes pendant la réforme des retraites. On doit alors s’interroger sur le sens de cette pratique institutionnelle qui a cours en France depuis 1962. Car sauf hypothèse de cohabitation, le Gouvernement doit d’abord – pardon : surtout ! – sa légitimité au choix du président de la République, conforté par une majorité consistante à l’Assemblée nationale, sauf en juin 2022, où cette majorité a été relative. Mais cette situation de « fait minoritaire », au rebours du fait majoritaire qui était resté prépondérant pendant soixante ans, n’a pas entraîné de reconfiguration du jeu institutionnel : les ministres sont les hommes du président de la République et ils ne sont là que parce qu’ils jouissent de sa confiance. Point barre.
On peut alors s’interroger sur la nature réelle des institutions de la Ve République. En 1959, le constitutionnaliste Maurice Duverger avait parlé de « République orléaniste ». L’orléanisme désigne cette catégorie de régime parlementaire où le chef de l’État dispose de pouvoirs réels et où le Cabinet doit avoir sa confiance et celle des assemblées. Historiquement parlant, tous les régimes parlementaires ont été orléanistes, marquant le passage de la monarchie absolue, puis tempérée et limitée, au régime parlementaire moniste avec un chef de l’État complètement effacé et n’exerçant plus qu’une fonction protocolaire et de nature cérémonielle. Mais dans la situation du général De Gaulle, retourné aux affaires publiques en 1958, Maurice Duverger ne constatait qu’une responsabilité parlementaire des ministres, sans responsabilité expresse devant le chef de l’État. Il concédait même que cette situation ne tiendrait pas et que la pratique institutionnelle reviendrait à une situation de régime parlementaire classique. Or les années qui ont suivi l’arrivée du général De Gaulle ont abouti à l’exact contraire. Non seulement le Gouvernement n’est là que par la bonne volonté du président de la République, mais ses ministres ne tiennent que parce qu’ils sont toujours en cours à l’Elysée. Si on creuse davantage, la responsabilité devant le président de la République n’est plus celle d’un cabinet – un organe collégial et solidaire – mais celle de ministres pris individuellement. Si les ministres tiennent, c’est parce qu’ils disposent de ressources politiques dans le champ parlementaire et partisan, comme l’existence d’un bon réseau qui permet de tenir et de survivre dans la « jungle ». En réalité, non seulement les ministres ne sont plus responsables devant le Parlement mais leur responsabilité devant le seul président devient en fait une fidélité d’homme (ou de femme) à homme. Bref, le régime de la Ve République est peut-être un régime orléaniste mais avec un dualisme qui semble de façade car la responsabilité devant les parlementaires est devenue théorique. Et un régime au dualisme encore plus amoindri, car les ministres (re)deviennent de simples conseillers ministériels. On pourrait alors parler de dualisme déséquilibré, voire de monisme inversé. Comme si Macron, avec les péripéties et les faiblesses de sa majorité, avait restauré l’unité de l’exécutif, et ce au rebours de toute l’évolution du régime parlementaire… Sire, ce n’est plus une évolution, c’est une régression !