Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Depuis 2008 et la crise dite des Subprimes, rien n’a été résolu. Avec la chute de SVB, de Signature Bank, de Silver Bank et du Crédit Suisse, sans compter la grande fragilité de la Deutsche Bank, cette crise « n’est pas le début de la fin mais la poursuite du pire », selon la formule de Guy de La Fortelle.
Ces faillites ne sont pas des accidents locaux mais bien les signes d’une crise systémique, aucun remède n’ayant été apporté aux vices profonds du système, Bâle III (2010) n’ayant que peu d’effet. La banque SVB, au cœur de l’écosystème de la Silicon Valley, finançant directement ou indirectement la moitié des entreprises technologiques de la région, n’est plus. En quelques heures, une perte de moins de 2 milliards de dollars s’est transformée en une fuite de capitaux de 45 milliards qui a engendré 600 milliards de pertes boursières pour le secteur bancaire. La Signature Bank de New-York, spécialisée dans le financement des cryptomonnaies, elle aussi est en faillite.
Peter Thiel, fondateur de PayPal, a retiré les avoirs de son fonds d’investissement en capital risque, Founders Fund, la veille de la panique et incité ses partenaires à faire de même. Chanceuses et rapaces, JP Morgan et les autres grandes banques de l’Est s’emploient à ouvrir de nouveaux comptes aux clients de SVB – à moins qu’elles n’aient poussé la banque à la faute ? Il y a des centaines de SVB aux États-Unis qui se sont retrouvées submergées de liquidités pendant le Covid, les ont placées à des taux déjà médiocres (« assouplissement quantitatif » oblige, voulu par la Fed suivie par la BCE) pour l’époque et désormais insignifiants avec la montée des taux. Les tombereaux d’obligations d’entreprises à 1 ou 2 % ne valent plus rien quand le Trésor américain offre 5 % pour un titre bien plus sûr. Mais le vrai problème bancaire est, aussi et surtout, européen, avec des banques comme le Crédit Suisse ou la Deutsche Bank, gigantesques machines frauduleuses qui s’affranchissent des règles les plus élémentaires de consultation de leurs actionnaires. Elles accumulent des portefeuilles astronomiques de CDS (credit default swap, produits d’assurance sur le défaut de paiement vendus comme actifs financiers) et autres actifs douteux, incroyablement plus exposées aux hausses de taux, au travers des centaines de milliers de milliards de produits dérivés toxiques, elles prennent des engagements très au-delà de leurs fonds propres. La situation financière de ces banques est d’autant plus préoccupante que ce qui leur reste de capital est investi dans les obligations des États de la zone euro, dont un grand nombre ne pourront rembourser cette dette. En ce moment, des centaines de milliards d’euros et de dollars sont retirés des banques par les initiés les plus riches afin d’acheter des actifs qui leur permettent de se débancariser, un bank run professionnel, silencieux mais redoutable.
Le dilemme des gouvernements est alors le suivant : il faut hausser les taux pour lutter contre l’inflation qui ruine les ménages (tout en améliorant les finances des États) mais augmenter la liquidité pour sauver les banques… ce qui produit de l’inflation. Pour Guy de La Fortelle, qui dirige la lettre d’information L’investisseur sans costume, ce n’est donc pas le début de la fin, c’est tout l’inverse, c’est la rupture d’une nouvelle digue pour aller encore plus loin dans la folie financière, c’est la continuation du « quoi qu’il en coûte » financier, la continuation de la dette par tous les moyens. C’est le grand retour des assouplissements quantitatifs pour refaire de la liquidité et renforcer le marché interbancaire, c’est donc aussi la poursuite de l’inflation. Mais la BCE aura du mal à consentir à un assouplissement monétaire (quantitative easing, QE) puisque sous l’influence de la Bundesbank elle a décidé de mettre en priorité la lutte contre l’inflation, soit la restriction monétaire (quantitative tightening, QT).
Face à l’inflation, se généralisera le régime de pénuries que nous sentons proche. Nous nous retrouvons à un moment où nous nous rendons compte que nos comptes en banque ne sont que des promesses d’argent et que ces promesses dépassent largement les capacités à les honorer. Jamie Dimon, PDG de la JP Morgan & Chase, l’annonçait déjà en 2022 : « Cet ouragan est là, il vient vers nous ». Une sorte de coup d’État bancaire est prévu, l’UE désirant fortement passer à une monnaie numérique émise par la BCE. Grâce aux monnaies programmables des banques centrales, le rationnement se généralisera, une bascule monétaire vers le numérique public nous entraînant vers une forme de contrôle social. Christine Lagarde, présidente de la BCE, le reconnaît a minima : « L’euro numérique permettra un certain degré de contrôle des paiements ». L’émission monétaire ne serait définitivement plus liée à l’activité de production, ce qui ferait de la monnaie quelque chose comme le rouble soviétique du temps de l’URSS.
Harry Dent, économiste, fondateur de HS Dent Investment Management et auteur de plusieurs livres à succès, a averti vendredi 7 avril que le plus grand krach de notre vie « va se produire entre aujourd’hui et la mi-juin environ ». Dent s’attend à un effondrement de 86 % pour le S&P 500 et de 92 % pour le Nasdaq. Pour lui, cela aurait dû se produire dès 2008 mais le « remède » du QE fut trouvé qui empêchait le megakrach. Hélas le remède était le pharmakos des Grecs, remède et poison, le poison étant l’inflation sous-produit inévitable des assouplissements quantitatifs et cette fois les banques centrales n’ont plus d’autre solution que celle de la hausse des taux.
Pour l’heure c’est plutôt le calme avant la tempête, les banques, nous dit-on, sont solides, les stress tests l’ont prouvé (sic). Les accords de Bâle III les ont obligées à disposer d’un niveau élevé de fonds propres, à respecter un ratio de levier qui prévoit de ne pas dépasser un certain multiple du montant de ses fonds propres, à respecter des ratios de liquidité. Sauf que l’étude des comptes des banques selon la norme IFRS en Europe fait apparaître qu’elles transgressent largement les règles. Globalement, les pertes non comptabilisées des banques sont supérieures à leurs capitaux propres. Elles sont donc en réalité en faillite.
Comparaison n’est pas raison, néanmoins l’histoire nous enseigne que, le 11 mai 1931, la faillite de la banque autrichienne Kreditanstalt déclencha le premier grand mouvement de panique bancaire en Europe, sinistre prélude financier à la Seconde Guerre mondiale. Bien d’autres suivirent, et la France ne fut pas épargnée, avec plus de 600 banques de toutes tailles, locales, régionales et nationales, emportées dans la tourmente, et avec elles l’argent de leurs clients. Certes les techniques bancaires se sont affinées mais la cupidité humaine reste la même et, politiquement, il sera difficile à un Bruno Le Maire de nous dire que tout va bien et de restaurer la confiance quand lui et ses confrères ministres et dirigeants européens portent une large part de responsabilité dans le désordre financier par les injections massives de liquidités effectuées au cours des dernières années, les politiques de taux à 0 %, les gigantesques plans de relance budgétaire financés par la monétisation des dettes publiques. Ils ont activement contribué au retour de l’inflation contre laquelle les banques centrales, en pompiers pyromanes, s’efforcent désormais de lutter en relevant leurs taux d’intérêt (le poison). D’aucuns auront mangé leur pain blanc avec l’argent magique, voici venu celui du pain noir, de l’argent amer, avec une crise sociale qui couve dont l’ampleur sera inégalée.
Illustration : Le 24 avril, Christine Lagarde explique : « nous devons vraiment mesurer ce qui sortira de ces récents événements financiers […] Quel impact auront-ils ? Comment les banques vont-elles réagir ? Comment vont-elles évaluer le risque ? » Des déclarations rassurantes…