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Anabase

Voyons, ami lecteur, que vous rappelle ce mot nanti de trois lettres a sur quatre voyelles et quatre syllabes ?

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Anabase

Il avance d’un pas assuré, ce mot, comme le pas du montagnard qui sait devoir marcher sans faillir, pendant de longues heures, jusqu’au sommet qu’il se propose d’atteindre. Sa physionomie trahit son origine grecque, αναβασις (de ανάβαίνέίν), littéralement « marche vers le haut ». En médecine, il représente une phase d’aggravation de la maladie. Anabase est aussi un terme de musique antique, qui désigne une mélodie ascendante.

Ce mot peut décidément être associé à des notions très différentes, pourvu qu’il y ait l’idée de mouvement ascendant : sur sa monture, sur un vaisseau, sur une montagne, ou même à travers des contrées hostiles, comme Xénophon avec ses fameux Dix Mille… Ou comme le religieux qui gravit la longue pente de l’oraison, dans l’humilité, la patience, parfois la souffrance, qui mène à la contemplation… L’échelle de Jacob, dans la Genèse, est gravie par des anges qui montent aux Cieux, ce qui est le modèle indépassable de l’anabase ! Inversement, la chute du Démon en Enfer est appelée catabase…

Lancez la musique et laissez-vous faire…

En guise d’anabase, et en ce qui me concerne, je me contenterai plus modestement de vous inviter à réécouter (pour la quantième fois ?) le deuxième mouvement de la 7e symphonie de Beethoven : arrangez-vous pour être seul, ou avec une personne amie dont vous êtes quasi sûr qu’elle vous accompagnera volontiers dans l’ascension ; lancez la musique sans nécessairement passer par le premier mouvement, et laissez-vous faire… Répondez intérieurement à l’appel très calme de l’orchestre puis, voici presque tout de suite le pas de montagnard dont je parlais à l’instant : un, un deux trois, un, un deux trois… Une fois que le rythme est bien pris, on peut lever les yeux sur le paysage qui se déploie lentement, la mélodie calme et un peu solennelle vous le dit avec une douce insistance, renforcée par quelques percussions qui organisent les échos, et les lointains baignés de brume… Puis, la marche devient plus laborieuse, la piste est dure et les cailloux roulent ; mais le marcheur que vous êtes ne s’arrête pas pour autant. Il poursuit sa progression, il persévère dans son ascension.

Voici la moitié du chemin ; dans une lumière généreuse, des oiseaux chantent et s’enfuient, et les muscles roidissent un peu, le souffle raccourcit, mais devant le randonneur, la majesté du paysage se déploie, et que le ciel est beau, avec ses nuages qui se groupent et s’étirent, sculpté par le tranchant immémorial des chaînes et des pics acérés ! …

On approche du sommet, les derniers pas sont plus doux, la paix de l’altitude s’installe dans le cœur. Le mouvement arrive à ses ultimes accords, un peu en s’évanouissant, avec cependant des sursauts énergiques, et enfin il s’en va sur la pointe des pieds, de son fameux pas tranquille, il vous laisse à la fois charmé, et un peu triste aussi, comme un enfant qui regrette que ce soit déjà fini… C’est ainsi que l’on peut dire que la musique est une exquise, tantôt douce, tantôt cruelle anabase.

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