Dans une étude publiée conjointement avec le professeur Jacques Sapir, l’économiste Philippe Murer* balaie les scénarios apocalyptiques avancés par les adversaires d’une dissolution de l’euro.
Vous affirmez que le retour à une monnaie nationale donnerait une impulsion économique forte à l’économie française. Comment ?
Il jouerait sur plusieurs points. Tout d’abord, il induirait une baisse des taux de change qui favoriserait les exportations, car nos prix seraient plus compétitifs à l’étranger. L’autre effet serait d’augmenter le prix des importations. Or, si vous importez 10 milliards d’euros de moins, vous devez produire 10 milliards d’euros production supplémentaire dans le pays pour suivre la demande. Nous avons analysé en détail les données du commerce extérieur. Nous avons pu déterminer qu’une baisse de 30% du taux de change par rapport à l’Allemagne (selon notre scénario central) apporterait au total 3,5 points de croissance économique au pays. L’inflation augmenterait dans des proportions raisonnables et s’établirait à 4,5%. Et ces données ne prennent pas en compte l’énorme champ de capacités qu’offre une politique monétaire redevenue souveraine.
Ne peut-on craindre une dévaluation en chaîne en Europe en cas d’éclatement de l’euro ?
Ceux qui supposent ce scénario oublient que les pays qui possèdent leurs propres monnaies sont obligés à terme d’équilibrer leurs balances commerciales. En cas de dissolution de l’euro, les autres nations d’Europe dévalueraient aussi leurs nouvelles devises au moment de la conversion. Nous l’avons bien évidemment pris en compte dans nos schémas. En Italie, la baisse du taux de change devrait atteindre 35%, nous serions à 40% en Espagne, et près de 60% en Grèce. En fait, seule l’Allemagne serait perdante. Sa monnaie (et celles d’autres pays du Nord) s’apprécierait naturellement contre toutes les autres car son économie dégage de larges excédents commerciaux et nécessite une monnaie plus forte. Leur seule alternative pour faire baisser leur monnaie serait de faire de la création monétaire, un peu comme aux États-Unis. C’est inimaginable pour les Allemands ; ils considèrent cela comme une monstruosité. Elle devrait être en récession de 2% sur les deux premières années puis la situation reviendra « à la normale ».
« 85% de la dette émise par le gouvernement est inscrite en droit français, ce qui signifie que sa conversion dans la nouvelle monnaie dévaluée ne provoquerait pas un centime d’augmentation. »
Pourquoi l’Allemagne serait-elle pénalisée par une dissolution de l’euro ?
La monnaie unique a boosté son commerce extérieur au détriment des autres pays. Il faut bien comprendre que ce sont les différences d’inflation et de salaire qui expliquent les problèmes de l’euro et non la productivité du travail, qui augmente plus vite en France qu’en Allemagne. Dès la création de l’euro, les Allemands ont drastiquement limité la hausse de leurs salaires, et ils ont pu exporter massivement dans les pays d’Europe qui ne bénéficiaient plus de taux de change protecteurs. Ces dix dernières années, les trois quarts de leur croissance sont venus des exportations dans la zone euro et des effets induits par cette croissance (les investissements et les emplois nécessaires pour exporter).
A l’inverse, la plupart des grands pays d’Europe, incapables de suivre cette politique, ont subi une désindustrialisation massive. Celle-ci a fini par toucher de plein fouet leurs recettes fiscales. Ils ont donc augmenté les impôts et procédé à des coupes budgétaires, ce qui a fait baisser la consommation intérieure et l’investissement, donc les recettes fiscales… Regardez l’Espagne : son gouvernement multiplie les plans d’austérité depuis 2010 mais ses déficits publics ne se réduisent pas. Avec l’euro, on a crée une politique économique qui fonctionne exactement à l’inverse de celle des « trente glorieuses ».
Les imbrications financières dans la zone euro rendent-elles impossible la dissolution de cette monnaie continentale ?
Ce n’est pas un problème majeur. Bien-sûr, un rééquilibrage des taux de change entre monnaies nationales produira des pertes dans le système financier. Combien ? Personne ne peut le dire et il est inutile d’agiter les craintes. Mais supposons que les banques françaises perdent des dizaines de milliards sur les dettes libellées dans d’autres devises : nous nationaliserions les établissements en faillite grâce à la banque centrale nationale, qui pourrait de nouveau créer de la monnaie. Cela a été fait plusieurs fois dans notre histoire. Au plus fort de la récente crise, le gouvernement britannique a recapitalisé la moitié du système bancaire outre-Manche et ça n’a choqué personne. Certaines banques ont été nationalisées complètement ou partiellement et le système bancaire a pu poursuivre son activité. Depuis, des établissements ont été reprivatisés.
« L’Argentine n’avait mis que trois jours à retrouver des créanciers quand elle avait quitté la zone dollar et dévalué sa nouvelle monnaie »
Certaines personnes affirment qu’une sortie de l’euro ferait exploser la dette publique. Qu’en est-il ?
Il y a beaucoup de mensonges sur le sujet. En pleine campagne électorale, Nicolas Sarkozy n’avait-il pas affirmé que la dette de l’État doublerait en cas de retour à une monnaie nationale ? La vérité est que 85% de la dette émise par le gouvernement est inscrite en droit français, ce qui signifie que sa conversion dans la nouvelle monnaie dévaluée serait automatique et ne provoquerait pas un centime d’augmentation. Quant aux 15% restants, qui devraient être remboursés en euros si l’on respectait les engagements, il n’est pas interdit de les taxer davantage pour forcer à un échange de dettes en euros à un échange de dette en franc. Enfin, puisque nous parlons de dette, n’oublions pas que les plans de renflouement destinés à maintenir l’euro coûtent cher aux finances publiques.
En cas de dévaluation monétaire, les créanciers – échaudés par les pertes – ne déserteront-ils pas le marché obligataire français ?
La vengeance des marchés financiers est un mythe. Les banques adorent la dette d’État et les intérêts qu’elle leur rapporte. Comme le rappelait le chercheur Pierre-Yves Rougeyron, l’Argentine n’avait mis que trois jours à retrouver des créanciers quand elle avait quitté la zone dollar et dévalué sa nouvelle monnaie [en l’an 2000]. En outre, on oublie trop les énormes leviers que permet une politique monétaire souveraine, notamment sur le crédit : si les marchés financiers ne veulent pas de la dette française, l’État peut lancer un grand emprunt auprès des Français ou – solution radicale – emprunter de l’argent à la Banque de France. Certaines personnes agitent les peurs mais c’est aujourd’hui l’euro qui crée des tensions. Il faut aller de l’avant.
* Ancien gérant sur le marché des obligations convertibles, Philippe Murer est aujourd’hui spécialisé dans l’analyse macro-économique. Il enseigne à l’université Paris IV et étudie la situation économique à la demande d’investisseurs. Il participe en outre au cercle associatif du « Forum démocratique ».