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La nouvelle lubie de la Commission européenne

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La nouvelle lubie de la Commission européenne

La Commission européenne a publié le 24 juillet 2013 ses projets en matière de limitation des commissions interbancaires* (appelées « interchange » dans le jargon bruxellois).

*Les commissions interbancaires sont des montants que se facturent entre elles les banques. Ces commissions sont censées couvrir les coûts supportés par les établissements bancaires pour la mise en place ou la réalisation de prestations : paiement par carte, retrait par carte, paiement par prélèvement automatique, par TIP… (D’après l’Autorité de la concurrence)

« Qui veut noyer son chien… »

Une baisse de ces « interchanges » ne pourra avoir de conséquences dommageables que sur les banques de particuliers au premier rang desquelles se trouvent les banques coopératives et mutualistes ainsi que les quelques petites banques privées subsistant encore.

Le fondement de cette condamnation résulte d’une dérive intellectuelle qui veut que tout rapport entre deux personnes soit nécessairement marchand et donc soumis aux règles de concurrence. La Commission européenne nie ainsi la possibilité que deux entreprises – par ailleurs concurrentes – puissent coopérer pour offrir en commun, chacune à sa propre clientèle, un nouveau service que nulle ne peut rendre seule. La Commission européenne « oublie » que pour qu’il y ait un « marché » libre et concurrentiel il faut qu’il y ait d’un côté une « courbe d’offre » et de l’autre une « courbe de demande ». Il faut que « l’offreur » ait la liberté d’offrir ou de ne pas offrir et surtout la liberté de choisir à qui il offre; il faut que le « demandeur » ait la liberté de demander ou de ne pas demander et surtout à qui demander. Dans l’exécution d’un paiement, aucune de ces libertés n’existe. Il n’y a, au sens économique, ni offreur ni demandeur. La banque du « payeur » doit nécessairement régler la somme engagée à la banque du « payé ». Et elle doit effectuer tous les ordres de paiement qui lui sont transmis sans aucune exception. Dès lors la commission réglée par l’une des banques à l’autre n’a aucune des caractéristiques d’un prix. Elle n’est que la condition qui permet au système de fonctionner.

Partant d’une analyse erronée, la Commission européenne se fait simplement l’agent de la grande distribution et des opérateurs téléphoniques pour augmenter insidieusement leurs marges sur le dos des consommateurs qui ne comprennent pas la réalité du mécanisme et qui sont simplement sensibles à une propagande bien rodée.

A qui profite le crime ?

La baisse des commissions interbancaires ne fera jamais baisser aucun prix de vente aux consommateurs. Les expériences faites à l’étranger, notamment en Australie, le montrent. Et cela est normal. En effet ces commissions sont payées par les banques des commerçants – essentiellement la grande distribution et les opérateurs téléphoniques – aux banques des consommateurs pour permettre aux banques des consommateurs de ne pas faire payer trop cher le service des paiements par carte aux consommateurs tout en leur assurant un service hautement sécurisé.

Supprimer cette commission, ou même la diminuer, revient à transférer une somme de la banque des consommateurs vers la banque de la grande distribution. Ce n’est pas pour rien que l’« Association des Usagers des moyens de paiement » qui fait le forcing à Bruxelles pour obtenir cette décision, n’est ouverte qu’aux personnes qui traitent chacune plus de 5 % des paiements par carte ! En supprimant cette commission, la grande distribution et les opérateurs téléphoniques verront leurs banques économiser plusieurs centaines de millions d’euros par an et elles ne manqueront pas de réclamer leur part du gâteau. Les banques des consommateurs verront leurs charges augmenter d’autant pour un service déjà déficitaire. Elles devront inéluctablement augmenter les cotisations facturées aux consommateurs (en moyenne près de 20 euros par an).

En échange ni la grande distribution ni les opérateurs téléphoniques ne baisseront leurs tarifs. En effet pour le faire, il faudrait qu’ils affichent les prix de vente unitaires facturés aux consommateurs avec au minimum trois chiffres après la virgule (comme les distributeurs d’essence). Il serait bien naïf de croire que c’est cela qui va se passer. Une telle réforme coûterait cher à la grande distribution (la gestion des prix avec trois chiffres après la virgule supposerait en effet un changement de logiciels très important) et serait source de confusion pour les consommateurs qui auraient de plus en plus de mal à comparer les prix.

Comme globalement, pour les banques cela conduirait à un jeu à somme nulle il ne faut pas compter sur elles pour défendre les consommateurs qui seront les seules victimes de cette captation de rente par la grande distribution et les opérateurs téléphonique. Il faut d’autant moins compter sur les banques pour se battre sur cette question que les organes représentatifs sont dominés par les grandes banques… qui sont celles qui se partagent la clientèle des grands distributeurs et des opérateurs téléphoniques.

François Schwerer (ancien directeur juridique de banque, aujourd’hui à la retraite)

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