Si au moins deux scénarios sont envisageables, la négociation de la dette grecque aura dans tous les cas de figure des conséquences directes sur l’ensemble de l’Union européenne. Les répercussions ne seront pas seulement économiques mais largement politiques.
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Pour la première fois, des communistes sont arrivés au pouvoir à la suite d’élections libres. Il ne faut pas sous-estimer leur détermination : elle est nourrie par leur histoire – la terrible guerre civile de 1944 à 1949, le coup d’état des colonels en 1967 et la répression qui l’a suivi. De plus, une grande majorité de Grecs, même si elle ne partage pas les idées du parti Syriza, refuse d’accepter la situation actuelle. Et pour cause. Après une cure de cheval et avec 25 % de chômeurs, la dette du pays est montée à 180 % du PIB, alors qu’elle n’était encore que de 120 % au début de la crise. Malgré des signes de reprise de l’activité économique, le chemin suivi aboutit incontestablement à une impasse.
Le nouveau premier ministre, Alexis Tsipras, a réaffirmé ses engagements de campagne : sortir du système de la « Troïka » (Banque centrale européenne, Commission de Bruxelles, FMI), qui contrôle les finances du pays depuis 2010, et renégocier la dette de la Grèce. Bien au-delà des seuls sympathisants des partis de la coalition gouvernementale, c’est une grande majorité du peuple hellène qui soutient ce programme. Pour des raisons au moins autant psychologiques que financières. Les Grecs se perçoivent en effet comme des victimes. Il faut dire que le xxe siècle ne les a pas épargnés.
D’autre part, Alexis Tsipras a fait alliance avec le parti souverainiste des Grecs indépendants et il s’est bien gardé jusqu’à maintenant de s’attaquer à l’église, même si cette dernière détient 25 % des terres. On assiste ainsi non pas seulement à une victoire des « populistes », mais à la mise en place d’un « compromis nationaliste » qui se nourrit de l’opposition à Bruxelles d’un côté et à la Turquie de l’autre (à cause de Chypre et du conflit autour de l’exploitation du pétrole de la Mer Egée).
La Grèce ne peut jouer la montre
Dans ces conditions, quelle tournure va prendre la renégociation de la dette grecque ? Une chose est sûre : Athènes ne peut pas simplement jouer la montre car, sans nouvelle aide extérieure, elle ne peut tenir au-delà de la mi-mars.
Le refus de la BCE de continuer à refinancer les banques grecques par des facilités à court terme, motivé par des considérations techniques et juridiques, n’est pas la position définitive de l’Union européenne. La négociation va continuer et rien ne permet de penser qu’elle n’aboutira pas. En effet, l’endettement grec actuel (316 milliards d’euros) est, à la différence de celui de 2010, largement constitué de créances publiques, plus faciles à restructurer que des créances privées. De plus, ces grands endettements publics sont complexes et, partant, susceptibles d’amodiations (prolongation des délais de remboursement, taux d’intérêt revus à la baisse), sans parler d’astuces comptables variées.
Et si, pour finir, on réduit la dette grecque en valeur nominale, comme elle est largement publique, elle se dissoudra dans les budgets des pays concernés – Allemagne et France en particulier. On remarquera que l’assouplissement quantitatif de 1 100 milliards d’euros décidés par la BCE le 22 janvier arrive à point pour gérer d’éventuels problèmes de trésorerie, en cas de défaut partiel sur une dette grecque de 316 milliards…
Dans cette négociation, les Grecs ne sont pas dépourvus de moyens. La crise actuelle au Moyen Orient et le conflit qui oppose l’Europe de l’Ouest à la Russie, avec laquelle la Grèce a des liens historiques et religieux anciens, font d’Athènes une capitale courtisée. Cela s’est vérifié récemment quand le nouveau gouvernement a bloqué pendant 24 heures une discussion sur l’extension des sanctions qui frappent Moscou… De même, avec le tourisme, sa marine marchande et le rôle régional essentiel de ses banques dans les Balkans, la Grèce n’est pas sans alternative si elle devait quitter l’UE.
Or, en Europe, les Grecs ne sont pas seuls à contester la façon dont a été gérée la crise financière de 2008. « Podemos » en Espagne, « Cinque Stelle » en Italie, le Front national et la gauche de la gauche en France, sont sur des positions comparables. Mais si ces partis, ou ces mouvements d’opinion, obtiennent dans les urnes et dans les sondages des résultats que personne n’eût imaginés il y a encore deux ans, leurs revendications sont souvent trop vagues pour être convertis en politiques concrètes. Or, en Grèce, les nombreux économistes présents au sein du gouvernement ne sont pas des inconnus et participent depuis des années au débat qui entoure la politique d’orthodoxie financière de la BCE et de l’UE, orientée sur le modèle allemand. Le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, n’est pas un énervé.
Quand il explique qu’en 2010 la Grèce ne souffrait pas d’une crise passagère de liquidités mais d’une véritable banqueroute que l’on ne pouvait pas enrayer en empruntant toujours plus sans garantie de remboursement, il dit la vérité. Et son livre, cosigné avec James K. Galbraith et Stuart Holland, deux économistes reconnus, Modeste proposition pour résoudre la crise de la zone euro (édition Les Petits matins, janvier 2014), montre qu’il n’est pas isolé. Certes, bien des points du programme de Tsipras (la hausse du SMIC par exemple) sont démagogiques. Mais les jugements tranchés et méprisants qui, dans certains milieux, ont accueilli son arrivée au pouvoir semblent plus arrogants qu’informés.
Un véritable suspense
Deux scénarios sont désormais envisageables. Le premier verrait l’échec de la négociation entre Athènes, la BCE, l’UE et le FMI. On entrerait alors dans une zone de turbulence. Le peuple grec, ne se désolidariserait vraisemblablement pas de son gouvernement et la Grèce sortirait alors de l’euro, ce qui entraînerait de considérables répercussions, dont la remise en cause radicale de la façon dont celui-ci a été géré jusqu’ici.
Dans le deuxième scénario, toutes les parties parviendraient à un accord qui serait évidemment extrêmement coûteux pour les créanciers.
Problème : ce serait la reconnaissance d’une forme de mutualisation de la dette des états européens, mutualisation rigoureusement exclue par les textes. Du coup, il est tout à fait envisageable que le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe mette le holà. Et, politiquement, il faudrait en plus compter sur les réactions des électeurs-contribuables européen. à titre d’exemple, la part française dans la dette grecque représente l’équivalent d’une année d’impôt sur le revenu… Enfin, les pays qui comme l’Espagne, le Portugal et l’Irlande ont fait des efforts considérables pour revenir à l’équilibre pourraient demander à bénéficier des mêmes facilités. Bref, d’une façon ou d’une autre, le système va profondément être remis en cause.
à cela s’ajoute le fait que la situation d’Angela Merkel deviendrait encore plus difficile qu’elle ne l’est aujourd’hui. En particulier, et on le perçoit déjà, parce qu’elle sera amenée à faire des concessions aux Britanniques pour s’assurer que Londres reste dans l’Union. Une UE qu’un « Brexit », après un « Grexit », finirait d’achever. Celle-ci serait de toute façon soumise à des pressions encore renforcées dans le sens d’un changement de cap radical.
Quelle que soit l’issue, on peut penser que l’accord établi depuis longtemps entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates au niveau européen, symbolisé par le partage de la présidence du Parlement européen (deux ans pour chacun des deux partis) quel que soit le résultat des élections, et qui repose sur un mélange instable de mondialisation libérale, d’orthodoxie financière et de politique de protection sociale élevée par rapport au reste du monde, serait remis en cause. Ce serait le retour de la politique et la fin de la connivence.
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