Le départ soudain du directeur du Trésor pour un fonds chinois met en exergue la porosité grandissante entre les représentants des intérêts et des secrets économiques de l’État français et les fonds d’investissement de puissances concurrentes. Éclairage.
C’est une petite annonce, qui, depuis le 24 mai dernier, suscite des remous dans les rangs souverainistes et chez quelques députés de la majorité. Bruno Bézard, le directeur du Trésor public, a annoncé qu’il remettait sa démission pour le 20 juin prochain. L’homme va en effet rejoindre le fonds d’investissement franco-chinois Cathay capital private equity. La réaction du gouvernement ? Absente C’est pourtant l’une des figures les plus importantes du capitalisme d’État et des circuits de financement de l’économie tricolore qui quitte la fonction publique et vend ses services à un fonds étranger.
Un homme qui connait la stratégie des géants français
Inspecteur général des finances depuis 2004, l’homme a été directeur général de l’Agence des participations de l’État entre 2007 et 2010, conseiller du ministre de l’économie pour la Chine, puis directeur de la très stratégique direction du Trésor depuis 2014.
A ces titres, il siège ou a siégé dans de nombreux conseils d’administration de très grandes entreprises françaises dont il connait en détail les bilans financiers et les orientations stratégiques : Orange, (ex) Areva, EDF, Thalès, Air France-KLM, etc.
Il est à noter, cependant, que Cathay capital private equity n’est pas (encore) un géant de la finance. Son encours sous gestion n’atteint que 1,2 milliards d’euros, une somme qui ne lui permet pas – loin s’en faut – d’acheter les géants français de l’industrie.
Fondée en 2006 par le chinois Ming-Po Cai – président du groupe – et le français Edouard Moinet, Cathay capital private equity cherche à collecter des fonds auprès d’investisseurs et à entrer au capital d’entreprises de taille moyenne.
Partenaire de la Banque publique d’investissement avec qui elle a crée des produits communs afin d’investir dans des entreprises chinoises et françaises, elle cherche à monter en puissance, comme le prouvent l’ouverture récente de bureaux aux Etats-Unis et en Allemagne et l’embauche de Bruno Bézard.
Des précédents, sans réaction de l’exécutif
Néanmoins, cette affaire met de nouveau en exergue la porosité grandissante entre les représentants des intérêts et des secrets économiques de l’État français et les fonds d’investissement de puissances concurrentes. A l’été 2014 déjà, le directeur de l’Agence des participations de l’État – David Azéma – quittait brusquement son poste pour rejoindre le géant bancaire Bank of America-Merrill Lynch, le même établissement qui avait préparé discrètement quelques mois plus tôt la vente de la division ‘énergie’ d’Alstom au géant américain General Electric.
En début d’année, la très fermée Association amicale du Trésor fêtait ses vingt ans d’existence dans les locaux de la banque d’affaires Rothschild, établissement qui possède des entrées directes au plus haut niveau du pouvoir américain. La Délégation parlementaire au renseignement ne s’y est pas trompée. Comme le rappelle le député Jacques Myard dans un communiqué, elle avait relevé en 2014 « la légèreté du ministère de l’économie et des finances en matière de sécurité et des tentatives de pénétration des services étrangers ». Le rapport n’avait pas suscité la moindre réaction de l’Elysée, du premier ministre Manuel Valls ou du ministre des finances Michel Sapin…