Civilisation
La Défaite de l’Occident selon Emmanuel Todd
La guerre entre la Russie et l’Ukraine, si tel est le mot approprié, et non plus celui d’opération militaire spéciale, a jeté un trouble profond dans nos esprits.
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Inquiète de l’offensive diplomatique russe en Afrique, l’Ukraine mobilise également ses représentants pour convaincre les pays tentés par Moscou de condamner officiellement cette invasion et d’apporter à Kiev un appui aux Nations unies. Une majorité de pays africains persiste pourtant à conserver une position de non-alignement.
Depuis le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine fin février 2022, l’Afrique est au centre des préoccupations de Bruxelles. Si bien des divergences subsistent entre les pays africains, la majorité d’entre eux refusent de condamner Moscou et préfèrent adopter une position de non-alignement. Du côté des dirigeants européens, le taux d’abstention des pays africains lors des sessions à l’ONU est une preuve visible de l’efficacité et de la forte ingérence russe sur un continent où le sentiment anti-colonial ne cesse d’augmenter. En juin 2022, la visite conjointe à Moscou du président sénégalais, Macky Sall, et de celle du président de la Commission de l’Union africaine (UA), le Tchadien Moussa Faki Mahamat, a démontré une nouvelle fois que la position des chefs d’État africains diffèrent complètement de celle des nations européennes, ouvertement impliquées à différents degrés dans le conflit.
Si leur visite s’est effectuée sous le sceau de la neutralité, elle a été loin des espoirs occidentaux. Pour les deux représentants africains, il s’agissait plus de sécuriser les approvisionnements de produits agricoles et d’engrais dont l’Afrique dépend que de condamner l’invasion de l’Ukraine par les Russes, comme le rappelle dans ses colonnes l’Institut des études de sécurité (ISS). Un voyage qui a particulièrement irrité le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Invité à s’exprimer (durant quelques minutes) en visio-conférence, devant les chefs d’État africains, ce dernier n’a pas hésité à affirmer que leur continent était « l’otage des Russes » et qu’ils empêchaient d’acheminer vers l’Afrique des tonnes de céréales bloquées dans les ports en raison du blocus mis en place par la flotte russe en mer Noire. Le dirigeant ukrainien a proposé à l’Union africaine d’organiser une « grande conférence politique et économique Ukraine-Afrique » afin de les sensibiliser sur ce conflit et leur proposer de concurrencer économiquement la Russie en signant des accords de partenariat dans divers domaines. Une intervention qui a n’a pas eu le succès escompté tant le projet de Kiev a semblé irréaliste. D’ailleurs, seuls quatre dirigeants africains l’ont réellement suivi dans ce qui reste un vrai flop diplomatique, peu commenté par la presse internationale.
Bien que l’Afrique soit une des premières victimes de ce conflit, quels que soient les liens du passé qui relient l’Afrique à ses anciennes puissances coloniales, il n’est plus question de prendre parti dans les querelles européennes. « Leur perception de la situation internationale a évolué loin de l’ordre mondialiste imposé depuis des décennies par l’Europe. Elle est devenue plus cynique et explique le sentiment d’indulgence que l’Afrique prodigue à la Russie » comme l’analyse l’Institut des études de sécurité. « L’Afrique reste attachée au respect des règles du droit international, à la résolution pacifique des conflits et à la liberté du commerce » s’est humblement contenté de répondre Macky Sall à un président ukrainien visiblement agacé.
Dans les faits, la pression exercée par l’Ukraine est contre-productive. Outre le fait que Kiev a été rappelé à l’ordre – certaines de ses ambassades ont été pointées du doigt, suspectées de recruter des Africains afin de les envoyer sur le front de l’Est en échange d’avantages pécuniaires –, « en insistant très fortement sur la dépendance alimentaire de l’Afrique aux importations de l’Ukraine, Zelensky a soulevé un élément irritant et humiliant pour les pays africains : leur non-autosuffisance alimentaire » souligne Nicolas Normand dans le Figaro. « La question de l’Ukraine ne les concerne pas beaucoup et ils s’étonnent même que ce sujet monopolise autant les médias européens alors qu’ils ont le sentiment que leurs propres conflits sont assez ignorés » rappelle à juste titre cet ancien ambassadeur de France, nommés dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest. « Une Afrique dont les populations ne sont pas plus convaincues du bien-fondé légitime de l’Ukraine et qui applaudissent la Russie par seul sentiment anti-colonial ». D’ailleurs de ce conflit, « la Russie tire peu de profit économique de l’Afrique » ajoute Nicolas Normand.
Nommé représentant spécial de l’Ukraine dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique, Maksym Subh continue pourtant de croire que l’Afrique finira par soutenir son pays au nom du droit international. « Nous allons principalement attirer l’attention des pays africains sur le fait que la politique de néocolonialisme, que, par essence, la Russie mène actuellement contre l’Ukraine, est le phénomène honteux contre lequel les nations africaines luttent depuis des siècles » a déclaré, convaincu, cet ambassadeur ukrainien. Méthode Coué ? En poste en Algérie, il a eu la désagréable surprise d’apprendre que des manœuvres militaires conjointes entre Alger et la Russie avaient été organisées sous son nez.
Illustration : Le Yémen va recevoir du grain ukrainien mais le pays est toujours en guerre (guerre civile et ingérence armée de l’Arabie saoudite) et suscite beaucoup moins la sympathie occidentale.