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Ukraine : la Russie joue son va-tout ?

Poutine doit faire face à une Ukraine où l’influence russe diminue. Mais les équilibres locaux se sont modifiés depuis 2014. Au bout du compte, les Occidentaux ont-ils la possibilité d’empêcher l’annexion des républiques séparatistes ?

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Ukraine : la Russie joue son va-tout ?

Le 21 février au soir, le président Poutine a solennellement annoncé que la Russie reconnaissait l’indépendance des républiques séparatistes de Lougansk et de Donetsk et y envoyait des troupes. Mais, par rapport aux considérables rassemblements de forces russes jusqu’en Biélorussie et en Mer Noire, et par rapport aux scénarios apocalyptiques de guerre frontale et d’invasion de l’Ukraine décrits par les Américains, la décision de Poutine, pour le moment du moins, est plus modérée que ce à quoi certains s’attendaient, et ne change pas fondamentalement la situation sur le terrain. Simplement, elle met un terme au processus diplomatique dit « de Minsk ».

Comment interpréter sa décision, de façon à essayer de prévoir la suite (stabilisation ou poursuite de l’escalade) ? Lors de la crise de 2014, Poutine s’était arrêté, après avoir mis la main sur la Crimée et avoir détaché pratiquement de Kiev le Donbass, et après avoir obtenu que l’Ukraine renonce à son projet d’association à l’Union européenne.

L’échec des accords de Minsk

Avec les accords de Minsk signés l’année suivante avec l’Ukraine, l’Allemagne et la France, Poutine pouvait espérer à la fois contrôler les républiques séparatistes russophones et influencer l’ensemble de l’Ukraine, puisqu’il était entendu que la constitution de celle-ci serait modifiée afin d’assurer une large autonomie aux séparatistes, qui pourraient même conclure des accords avec des pays étrangers sans l’aval de Kiev. Cependant, en même temps, ils continueraient à participer à la vie politique de l’Ukraine tout entière, qu’ils pourraient influencer dans le sens russe.

Mais visiblement cela ne suffit plus au président russe. Peut-on risquer ici une hypothèse d’explication ? D’une part, Kiev n’a pas, pour finir, accordé l’autonomie aux républiques séparatistes. D’autre part, depuis la révolution de la place Maïdan et la crise de 2014 l’Ukraine a évolué : pour des raisons historiques et culturelles l’influence russe était auparavant présente dans l’ensemble du pays (sauf l’Ouest catholique, la région de Lvov) et pas seulement dans la partie orientale russophone. Mais le sentiment national ukrainien paraît commencer à se renforcer, bien des signes le montrent, comme le ralliement en 2018 d’une grande partie des orthodoxes ukrainiens à l’Église du patriarcat de Kiev, reconnue par Constantinople, alors que les autres restaient fidèles à l’Église orthodoxe dans la mouvance du patriarcat de Moscou ; et l’ouverture vers l’Occident à partir de 2014 exerce également son influence.

Du coup, le projet initial tendant à faire coexister, grâce aux accords de Minsk, un contrôle étroit sur les républiques séparatistes et en même temps une influence sur l’ensemble de l’Ukraine devenait moins réaliste. On peut même dire que les deux termes devenaient incompatibles, car Kiev ne s’est pas laissé faire.

Annexion ou influence ?

Il est probable que Poutine a estimé qu’il lui fallait désormais modifier ses projets : il doit choisir entre le contrôle étroit (voire l’annexion ?) des républiques séparatistes et une influence maintenue sur l’ensemble de l’Ukraine. La disposition des troupes russes sur le terrain (certaines se trouvent à moins de 150 km de Kiev) permettait ces dernières semaines de concevoir, en cas d’offensive, trois scénarios pour sortir de l’impasse : une prise en mains ouverte et plus seulement camouflée des Républiques russophones, préludant à leur annexion ; ou une invasion éclair de l’Ukraine destinée à forcer Kiev à capituler ; ou enfin, même, une occupation complète du pays avec l’installation à Kiev d’un gouvernement de marionnettes.

Le troisième scénario aurait engagé Moscou vraiment très loin et aurait placé la Russie ensuite devant des problèmes considérables, qui feraient passer les inconvénients bien avant les bénéfices possibles. Plus convaincant paraît le scénario finalement suivi : profiter d’une crise pour régler définitivement la question des régions russophones, l’influence sur le reste de l’Ukraine passant au second plan. Certes, on ne renoncera pas à exercer des pressions, à évoquer l’histoire, la « Rus de Kiev », la communauté culturelle, etc. etc., mais cela peut être manipulé ou instrumentalisé sans problème par un régime tel que le régime russe.

À partir de là, et dans la conviction, sans doute réaliste, que la situation de la Russie dans la région se dégrade, il est vraisemblable que Poutine ait conclu, assez logiquement, que l’Ukraine était de toute façon « perdue » pour lui et que le mieux à faire, après l’absorption de la Crimée, était de conforter les républiques séparatistes, voire de les annexer. Ce ne sera plus et Kiev et les russophones, ce sera ou Kiev ou les russophones.

Une situation pas si inconfortable

Le tout avant qu’il ne soit trop tard. Certes, il faut pour le président russe sortir de l’ambiguïté qui règne depuis 2015 et risquer l’épreuve de force. Mais la conjoncture est plus favorable pour Moscou qu’en 2014 : les États-Unis sont en crise, l’Asie les obsède de plus en plus, la RFA peine à trouver ses marques après son changement de gouvernement, l’Europe dépend plus que jamais du gaz et du pétrole russes, et les économies et les sociétés occidentales sont durement frappées par la pandémie. Et la crise actuelle a déjà apporté la preuve de la profonde division des Occidentaux…

Et en cas d’escalade encore plus grave de la crise, voire de conflit ouvert, la Russie serait beaucoup mieux placée qu’en 2014 : ses forces armées ont fait de considérables progrès, les sanctions économiques seraient moins efficaces (à supposer que les Occidentaux en décident de réelles, à la différence de 2014…). En effet, d’une part la menace d’exclure la Russie du système de communications bancaires SWIFT n’a plus la même portée face au développement des systèmes de règlement alternatifs comme les cryptomonnaies et le fait que la Russie et la Chine mettent en place leur propre système de règlements internationaux. D’autre part, la Russie et la Chine viennent de signer un accord pour la construction d’un gazoduc permettant de diriger le gaz produit par le champ de Yamal vers l’Est, si Nord Stream 2 n’était finalement pas mis en service. Donc Moscou devient moins dépendante de ses livraisons à l’Europe.

Le mythe de l’« autonomie stratégique » européenne

Enfin, en cas de conflit ouvert, il est probable que l’OTAN, qui n’a pratiquement rien dans la région à opposer aux forces russes, calerait la première. Washington fait savoir que dans ce cas les Occidentaux aideraient les Ukrainiens à monter un mouvement de guérilla. C’est possible, mais les Russes seraient tout aussi bien placés pour en faire autant par exemple dans les Pays baltes, où existent de fortes minorités russophones…

Disons même que la reprise de contrôle de la Biélorussie, en particulier sur le plan militaire, réalisée très vite par Poutine sans que les Occidentaux ne la voient vraiment venir, modifie considérablement la situation stratégique (il suffit de regarder une carte). Au pire l’adhésion de Kiev à l’OTAN, qui pourrait être une conséquence à moyen terme de la décision de Poutine, en quelque sorte le prix à payer, même si Moscou continuerait évidemment à protester vigoureusement, serait moins insupportable pour la Russie qu’elle ne l’aurait été dans les années 2010….

Quelles peuvent être les réactions des Occidentaux ? On peut imaginer qu’en fait ils se résignent, sans accepter formellement la nouvelle situation, du point de vue du droit international. Ou qu’ils essaient de rétablir l’équilibre en faisant entrer l’Ukraine dans l’OTAN, ou même plus probablement dans l’Union européenne. Après tout, Chypre a bien été admise dans l’Union européenne alors que sa partie orientale est occupée par la Turquie, et alors qu’elle est la seule à avoir reconnu l’État qu’elle y a créé. Mais, sanctions ou pas, on continue à faire des affaires de toute nature avec Ankara, qui dispose du moyen de pression que constituent les migrants. Des relations de même type avec la Russie sont parfaitement possibles. Washington pourra se consoler en considérant que la crise ukrainienne aura de toute façon apporté la preuve que l’« autonomie stratégique » européenne est pour le moment un mythe et que seuls comptent d’une part l’Alliance atlantique et d’autre part le dialogue direct entre Washington et Moscou.

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