Fnances. Des banquiers de Goldman Sachs aux dirigeants de BNP Paribas, des ploutocrates gèrent la planète financière au mieux de leurs intérêts. Et Emmanuel Macron n’oublie pas qu’il a été banquier.
La chose n’est pas nouvelle puisque le mot fut inventé par les Grecs, et l’histoire est remplie d’épisodes ploutocratiques. Pour ne remonter qu’au XIXe siècle, la France frôla à plusieurs reprises ce « pouvoir des riches » ou plutôt « les riches au pouvoir » (Monarchie de Juillet, Second Empire) sans y succomber totalement en raison de la combinaison paradoxale de son passé catholique et de ses aspirations révolutionnaires et démocratiques. L’Amérique de la fin du XIXe sombra dans ce travers à laquelle elle était largement prédisposée, avec la figure des Robber Barons (barons voleurs) ; la période fut aussi secouée par une brutale crise anarchiste qui coûta la vie au président McKinley (1901). C’est le président Theodore Roosevelt, successeur de McKinley, qui œuvra contre eux en obtenant du gouvernement conservateur qu’il mette au pas ceux qu’il appelait des « malfaiteurs de grande fortune ».
Mais, cette fois, il semble que la France n’échappe pas à ce fatal penchant, par quoi l’on voit d’ailleurs que la suzeraineté américaine et la domination de son modèle (depuis 1945) s’inscrivent à rebours des traditions politiques et culturelles de la France. De ce point de vue Macron est une figure antithétique et fondamentalement étrangère à la tradition politique française. Le phénomène est aussi de dimension mondiale et n’a jamais atteint un tel degré de puissance dans l’histoire.
Ploutocratie française : une galerie de « malfaiteurs de grande fortune »
Il est président d’une république bancaire. Parmi les contributeurs les plus en vue de sa campagne, un des dirigeant de BNP Paribas, Christian Dargnat. Cette banque a une taille de bilan d’environ 2300 milliards d’euros soit plus que le PIB français. De 2009 à 2016, Dargnat a été PDG de BNP Paribas Asset Management, la branche de gestion d’actifs financiers de la banque. Jusqu’en 2015, il exerçait aussi la fonction de président de l’EFAMA, l’association européenne des fonds et de la gestion d’actifs, l’un des principaux lobbies du secteur. Autre figure, Guillaume Rambourg, qui dirige le hedge fund Verrazzano Capital (un portefeuille de fonds spéculatifs). Rambourg est devenu « grand donateur » il avait organisé, après l’annonce de candidature de Macron, deux dîners parisiens où se pressaient les invités flairant la bonne aubaine. Qu’avait donc à gagner Rambourg pour son aide ? De nouveaux portefeuilles à gérer puisque Macron a supprimé du barème de l’impôt de solidarité sur la fortune tout ce qui ne relève pas de l’immobilier, et qu’il est donc devenu plus rentable de spéculer en France pour le patrimoine financier. Et pour piéger la classe moyenne on lui raconta que c’était pour favoriser l’investissement productif ! Un autre encore, Gilles de Margerie, a organisé un dîner de donateurs le 7 juillet 2016. Il est alors directeur général adjoint d’Humanis (racheté depuis par Malakoff-Médéric), un groupement de sociétés d’assurances, de mutuelles et de gestion d’actifs. Il est devenu directeur de cabinet de la ministre de la Santé Agnès Buzyn. Au ministère, en baissant le montant du forfait hospitalier, il augmente le champ d’action des mutuelles. Une course au fric, exactement le symétrique inverse de la crise des gilets jaunes.
Macron doré sur tranche
Bien que n’étant pas né une cuillère en argent dans la bouche, le jeune Macron avait précocement le goût de l’argent. Il eut comme témoin de mariage le richissime Henri Hermand qui, à 83 ans, adouba son poulain. Il accéda, en deux ans, à 33 ans, au groupe des vingt principaux gestionnaires de la banque Rothschild & Cie où il gagna, entre 2009 et 2012, 2 885 000 euros, sans compter la commission théoriquement due pour la transaction qu’il mena pour le rachat du département nourriture enfantine de Pfizer par Nestlé – et il a déclaré à la Haute autorité pour la transparence de la vie politique un patrimoine de 155 000 euros ! Après son élection il affirma s’appauvrir en politique mais ne se montra pas ingrat pour le milieu de la finance, il abandonne de la taxation européenne des opérations de trading à haute fréquence, largement spéculatives. Hypocritement, il demanda qu’elle se fasse au niveau européen sachant parfaitement que la règle de l’unanimité entre les États rendrait impossible sa mise en œuvre. Dès 2012, l’EFAMA de Dargnat avait formé le vœu que la gestion d’actifs ne fût pas contrainte par ces taxes.
À cette liste des « gavés de la terre » il faudrait ajouter les Pigasse, Niel, de Castries, ou Attali et Minc, plus petits bras, et tant d’autres qui agissent par leur médias. Bref, cette fois, ce n’est pas Philippe IV le Bel qui l’emporte mais bien les Templiers. L’État nation devient l’État caution, parce qu’en cas de crise financière, c’est l’État qui renfloue (donc le contribuable, payeur ultime). En 2008, ce sont 10% du PIB européen qui ont sauvé les banques. Et demain, en cas de crise hautement probable, il serait question, en l’absence de possibilité de sauvetage budgétaire, d’aller directement sur les comptes des particuliers, c’est le syndrome chypriote. Après les contribuables, au tour des épargnants !
Ploutocratie mondiale, les gavés de la terre, Hybris ploutocratica.
On peut en effet parler de démesure. L’ancien président de la FED américaine Alan Greenspan s’en est lui-même rendu compte en affirmant que le monde était tombé sous la domination de la ploutocratie. Le champion mondial du jeu pervers des conflits d’intérêt avec le politique, c’est la banque Goldman Sachs, surnommée Government Sachs, deux secrétaires d’État américains au budget sur trois viennent de cette banque ; c’est l’un d’entre eux, Hank Paulson, qui a eu la peau de Lehmann Brothers, ennemi traditionnel de la Goldman. Les Goldman Sachs boys (pas toujours de gentils garçons) peuplent les banques et les administrations publiques : Steven Mnuchin à la tête du trésor américain, Peter Sutherland, ancien commissaire européen, Mario Monti, premier ministre italien, Romano Prodi, ancien président de la commission européenne, Mario Draghi, président de la BCE, et, de 2002 à 2006, vice-président Europe de Goldman qui trafiquait avec la Grèce pour dissimuler l’ampleur du déficit public, José Manuel Barroso, ancien président de la Commission Européenne, recruté pour cela même. Liste non exhaustive !
Les fonds « vautours” planent au dessus de la planète financière.
Mais le sommet est atteint en matière de grande truanderie capitaliste par les fonds vautours qui rachètent aux créanciers les dettes des États devenus insolvables. Le fonds vautour se trouve désormais propriétaire de la créance totale qu’il exigera de l’État en question parce que celui-ci a souscrit, comme la plupart des souscripteurs, en dollar et selon les lois américaines. Doté d’une escouade d’avocats, il organise la récupération des fonds. On peut citer le fonds vautour Elliott, du second prénom de son fondateur un certain Paul Singer (Elliott Management Corporation), basé à New York, avec également des bureaux à Londres. Dans ce paysage l’Allemagne passe pour plutôt vertueuse en raison des reliquats industriels de son modèle rhénan mais cela est bien fini. Le pays démontre d’ailleurs qu’il y a belle lurette que la sphère financière ne contribue plus au financement de l’investissement dans l’économie réelle, elle est à elle-même sa propre fin. La Deutsche Bank, au bord de la faillite en 2016 et aujourd’hui toujours fragile, avec des milliards de produits dérivés plus ou moins toxiques, détient le record des rémunérations de ses hauts dirigeants : 816 d’entre eux étaient rémunérés à 1 million d’euros et 14 d’entre eux entre 6 et 9 millions d’euros. La planète financière s’éloigne de toute réalité, néanmoins le club de la haute finance ne retient comme indicateur de succès que la capacité à produire du cash, la notion d’intérêt général relève d’un discours de Martien.
TINA : « There Is No Alternative ! »
TINA, There Is No Alternative ! C’est une des phrases favorites des barons de la finance. On aura aussi compris qu’aucune loi, qu’aucun État n’est en mesure de les juger, les amendes spectaculaires qu’ils peuvent leurs infliger sont payées généralement en un jour ! Il nous reste à faire écouter à Macron, « Mozart de la finance », Méphisto dans le Faust de Gounod (préférez l’enregistrement de Boris Christoff) :
Le veau d’or est toujours debout ! / On encense sa puissance / D’un bout du monde à l’autre bout ! / Pour fêter l’infâme idole, / Rois et peuples confondus, / Au bruit sombre des écus / Dansent une ronde folle / Autour de son piédestal ! / Et Satan conduit le bal !