Depuis la sortie de Fiducia supplicans, un tsunami de mécontentement a submergé l’Afrique. En permettant la bénédiction des couples homosexuels, le pontife a provoqué la colère du clergé catholique africain, qui a critiqué une « déclaration ambiguë » propice à de multiples interprétations et manipulations, suscitant également une grande perplexité parmi les fidèles qui ont majoritairement rejeté le texte.
L’Afrique compte près de 300 millions de fidèles catholiques sur son territoire. Avec une trentaine de cardinaux à son actif, le continent pourrait même influencer le choix du prochain pape au Vatican, selon divers experts. Véritable contre-pouvoir aux régimes en place, bien qu’elle ne soit plus aussi intouchable qu’elle l’a été avant, l’Église africaine reste encore aujourd’hui une puissance dynamique traditionaliste et influente avec lequel le Saint-Siège doit compter. Mais le 18 décembre 2023, à quelques jours des célébrations de la Nativité, le pape François a surpris les prélats du monde entier en autorisant la publication de Fiducia supplicans (« La confiance suppliante »). Émise par le dicastère pour la Doctrine de la Foi (DDF), cette déclaration autorise désormais les prêtres catholiques à bénir les couples considérés en dehors des normes matrimoniales de l’Église, y compris les couples de même sexe.
Bien que les associations LGBT catholiques aient salué cette initiative, la réponse des ecclésiastiques africains n’a pas été celle espérée par le pape. La plupart des dignitaires africains se sont unis pour exprimer leur mécontentement face à cette nouvelle réforme, qui aborde un sujet délicat sur le continent. Soulignant « l’ambiguïté » sous-jacente dans la déclaration du représentant de Dieu sur Terre, la conférence épiscopale du Nigeria a jugé que ce document allait à l’encontre « de la loi de Dieu, des enseignements de l’Église, des lois de notre nation et des sensibilités culturelles de notre peuple ». Sans prendre le moindre gant et dans la foulée, le cardinal Donatus Ogun, qui préside cette conférence, a exhorté les personnes homosexuelles à « s’engager [immédiatement] sur le chemin de la conversion » pour trouver la rédemption.
Un avis partagé dans plusieurs pays africains. Par exemple, au Togo, les évêques ont formellement interdit aux prêtres de suivre les directives du texte. En Zambie, la majorité des évêques (12 sur 17) se sont retranchés derrière les lois en vigueur interdisant le mariage homosexuel pour faire front contre Fiducia supplicans. Au Rwanda, on a simplement souligné que l’Église ne pouvait pas approuver les pratiques homosexuelles, les jugeant contraires à la doctrine chrétienne. Certains n’ont pas hésité à exprimer ouvertement leur désaccord avec le pape François, comme au Kenya où l’on a qualifié « cette sortie du Vatican » de « folie suicidaire ». « L’homosexualité est une aliénation qui nuit gravement à l’humanité » a déclaré, quant à elle, la conférence épiscopale du Cameroun qui a évoqué un « vice devenu sujet de revendication légale ». Elle a même pointé du doigt la responsabilité des associations LGBT du pays, souvent accusées de pervertir la jeunesse et de les éloigner de leurs traditions ancestrales. « Nous ne pouvons occulter le risque de confusion et de scandale que la bénédiction des couples de même sexe pourrait engendrer au sein de notre Église locale » a déclaré de son côté, la conférence épiscopale de Côte d’Ivoire.
Désapprobation officielle
À Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, pays comptant le plus de chrétiens sur le continent, la Conférence épiscopale nationale s’est empressée d’écrire une « lettre de désapprobation » au Pape. Le cardinal Fridolin Ambongo, considéré pourtant comme proche du Souverain Pontife, qui l’a créé cardinal en 2019, s’est nettement distancié du texte, affirmant qu’il « suscite beaucoup de perplexité parmi les fidèles ». Une contestation qui revêt une importance particulière, car l’archevêque est également le Président du symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar, « qui rassemble tout le haut clergé du continent », comme le souligne Le Monde. Il a appelé les différentes conférences épiscopales du continent à exprimer officiellement leur position sur Fiducia supplicans, position « qui servira de ligne directrice générale pour toutes les Églises d’Afrique » peut-on lire dans son communiqué.
Liberté africaine
Parmi les pratiquants, un sentiment unanime de rejet s’est fait largement entendre, amplifié et relayé par les influenceurs catholiques locaux qui ont appelé à la désobéissance et exprimé leur propre indignation sur les réseaux sociaux. Goderique Gondeth, suivie par des centaines de milliers de personnes, s’est faite la porte-parole de ce refus des prêtres et des fidèles africains de « bénir le mal », comme le rapporte Cath-Info. Certains commentaires sur TikTok, où officie cette religieuse, ont même suggéré que « l’Afrique soit arrachée à l’autorité morale du pape ». Des pétitions ont été lancées pour exiger le retrait de Fiducia supplicans. Certains prêtres n’ont pas hésité à créer des vidéos au ton menaçant et les ont diffusées sur les réseaux sociaux, mettant en garde tout couple homosexuel désireux de recevoir une bénédiction, affirmant qu’ils les dénonceraient à la justice. Parallèlement, certains prêtres ont établi des groupes WhatsApp pour discuter de la légitimité de ce texte largement condamné qui enflamme la toile africaine.
Parmi les opposants les plus déterminés à toute forme de bénédiction envers les personnes homosexuelles, le cardinal Sarah a affirmé qu’il « n’entendait pas céder un millimètre » sur ce qu’il considère comme une pratique incompatible avec la culture africaine et la foi. D’origine guinéenne, il représente l’épiscopat africain sur les questions LGBT. Très respecté dans les cercles traditionalistes, l’archevêque de Conakry a comparé l’homosexualité à des idéologies aussi mortifères que le communisme et le nazisme. Lors d’un synode en 2014, il avait solennellement réaffirmé que « l’Église d’Afrique s’opposera fermement à toute rébellion contre l’enseignement de Jésus et du magistère », prenant délibérément pour cible le pape François. Dans son message de Noël, il a qualifié le texte en question « d’hérésie qui mine gravement l’Église, Corps du Christ, car elle va à l’encontre de la foi catholique et de la Tradition », semant « la confusion, le manque de clarté et de vérité, ainsi que la division ».
Confronté à cette contestation, le Pape François a dû accepter la réalité s’imposant à lui. Fiducia supplicans, notamment le volet concernant les personnes homosexuelles, ne sera finalement pas rendue obligatoire en Afrique et sera laissée à la libre appréciation des évêques. Autant dire qu’elle a peu de chances d’être mise en œuvre. Au milieu de l’agitation quasi révolutionnaire déclenchée par ce document, quelques voix modérées ont néanmoins tenté de se faire entendre. Pascal N’koué, évêque béninois de Parakou, cité par La Croix Africa, a déclaré : « Beaucoup ne vont pas comprendre ce que le pape dit [mais] il revient sur ce que Jésus a fait : ne pas exclure les gens. » Une perspective optimiste qui contraste nettement avec l’atmosphère électrique du moment et qui place l’Afrique dans un état semi-schismatique qui ne dit pas son nom. ■
Illustration : Tu quoque fili ! François et le cardinal Fridolin Ambogo, Rome, le 5 octobre 2019.