Civilisation
SYNODE : ZEN REPART À L’ASSAUT
Mgr Zen, archevêque émérite de Hong Kong, a lancé le 17 octobre sur les réseaux sociaux un « appel urgent au peuple catholique : prions pour que le synode des évêques se termine bien ».
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Bien qu’avancé, le pontificat du pape François a encore de quoi surprendre. Mais il est déjà suffisamment rempli pour qu’un essai de rétrospective soit possible.
Il va de soi qu’une partie appréciable de ses interventions s’inscrit dans le cadre de ce qui est attendu d’un pape, et qu’il a touché le cœur de beaucoup de gens. Ce n’est pas là-dessus qu’on insistera ci-après, mais sur ce qui le met à part, notamment dans ses propos.
De façon générale, ce pontificat restera sans doute dans les esprits comme un phénomène spécifique. Outre le tempérament personnel du pape, il ne se réduit ni à un progressisme pur, ni à une singularité latino-américaine.
Prenons d’abord les messages, tels qu’ils sont en général perçus. Écologie et migrants sont les plus intenses. Or ce sont des questions intéressant croyants et non-croyants : la motivation du pape est religieuse, mais l’objet relève d’une appréciation prudentielle, et politique au sens large. Sur l’écologie, l’écho a été considérable, mais le message proprement religieux n’arrive qu’à la fin de Laudato si’. Sur les migrations, plus disputées, le pape porte une appréciation d’ordre politique en faveur d’un véritable droit à l’immigration, qui va bien au-delà de la sollicitude biblique pour un hôte de passage ; et il la mêle avec un vocabulaire religieux, qualifiant même de péché grave les tentatives systématiques de repousser les migrants (audience du 28 août 2024). Dans la même perspective, on trouve des vues personnelles comme l’hostilité à la finance, l’économie rendue responsable de la pauvreté et des guerres, la réserve à l’égard du niveau national, ou l’hostilité à la peine de mort.
On est en revanche plus clairement sur le terrain de la foi avec le souci du pape envers les périphéries, l’appel à la miséricorde, ou même l’exaltation de la fraternité. Mais si le lien avec le message chrétien est manifeste, celui-ci n’en a pas le monopole, et surtout le pape les insère dans un contexte plus large. L’idée de fraternité notamment, thème central de Fratelli tutti, va pour lui au-delà du christianisme et vise l’ensemble des religions et au-delà.
En définitive, on a le sentiment que dans ce qui est perçu de ces enseignements, caractéristiques du pape, la dimension spécifiquement chrétienne n’est pas mise au centre, hors croyance générale en un Dieu commun à toutes les religions. Ce qu’on entend est inséré dans le monde, au service de causes politiques ou sociales, très marquées par les opinions personnelles de François. L’enseignement proprement chrétien du pape, appréciable par ailleurs, est comme occulté par ces messages tonitruants.
Dans un autre ordre d’idées, on est frappé par la faible place prise par l’effondrement spectaculaire de la foi chrétienne et catholique dans ses bastions traditionnels (hors Afrique et Asie). La réaction paraît en regard faible.
S’agissant de la foi et des mœurs, il faut noter la méfiance du pape François à l’égard de tout ce qui est doctrine et notamment définition claire et affirmative, qu’il ressent comme source d’exclusion : des « pierres » lancées à la figure des gens, pour reprendre son expression, sources de pharisaïsme et de rigidité. La vérité elle-même paraît s’identifier à l’action, la pensée étant évolutive et en marche : la praxis plutôt que la théorie, le temps plus que « l’espace » (le pouvoir), « la réalité plus importante que l’idée », le tout sous l’action supposée permanente de l’Esprit. C’est sans doute ce même trait privilégiant la spontanéité sur la rigueur qui explique ses déclarations parfois étranges, ou certains passages surprenants de ses nombreux livres.
Tout cela bouleverse l’idée d’un enseignement cohérent dans le temps, fondé sur le dépôt de la foi. Conjugué avec le souci des périphéries, cela débouche sur le choix d’une « Église en sortie », kénotique. Mais qui de ce fait ne bénéficie plus des mêmes repères.
On mettra de même à part sa conception très particulière du « peuple », jugé créatif et capable d’inculturer à chaque époque et de manière nouvelle l’Évangile. Ce peuple est conçu comme d’ordre “mythique”, réalité vivante elle aussi en mouvement, qui ne peut être abordé que par l’intuition. Et se renouvelant sans cesse par les migrations.
D’où doctrinalement une ambiguïté étudiée, avec occasionnellement une embardée vers la rupture (cas de la peine de mort). Ainsi sur les questions de mœurs, celle des divorcés remariés étant expédiée par une étrange note de bas de page d’Amoris laetitia, glosée ensuite. Ou sur la bénédiction ambiguë de « couples » de même sexe (Fiducia supplicans). Côté positif, on notera ses gestes justement appréciés envers les personnes marginalisées. Mais trop vite le message, insuffisamment précisé, se brouille : « qui suis-je pour juger ? ». Comment alors situer l’homosexualité ?
Plus gravement, ceci rejoint ses accents interreligieux surprenants, paraissant mettre les différentes religions sur le même plan comme des voies comparables vers Dieu, ce qui n’est pas le message chrétien. Comme il l’a expliqué à Singapour, « toutes les religions sont un chemin vers Dieu […] comme des langues différentes […] Il n’y a qu’un seul Dieu, et […] nos religions sont […] des chemins vers Dieu ». Mais alors qu’est-ce qui fonde son magistère ? Il décrit par ailleurs l’islam comme religion de paix – contrairement aux faits. Et il traite le « prosélytisme » de « bêtise magistrale ».
Le risque est l’affaiblissement du message, qui devient flottant ou subjectif. Pourtant le pape sait être clair et ferme à l’occasion, ainsi sur l’avortement. Et par ailleurs cette ambigüité n’est pas dans la ligne progressiste, qui voudrait des changements explicites, sur les mœurs, sur la place des femmes, etc.
De ce que l’on comprend de l’exercice du pouvoir à Rome, François a les qualités et les défauts de la personnalité autoritaire : décisive pour trancher certains nœuds gordiens, moins efficace lorsque cela se mêle avec la multiplication des canaux de consultation et de décision et leur brouillage. Le thème de la synodalité coexiste de façon étrange avec cette réalité. L’avenir dira ce qui en ressortira ; mais l’exercice, mené avec une relative hâte, ne paraît pas à ce stade déboucher sur des résultats lisibles, d’autant que le rôle du pape en ressort plus que jamais renforcé.
En contraste, l’exaltation de l’ouverture à tous (todos !) se conjugue étrangement avec la traque des conservateurs et surtout des tradis. Même si l’acharnement de certains au Vatican n’est sur ce point pas totalement suivi par le pape.
Au total, la spécificité personnelle paraît être le trait dominant de ce pontificat intense et disruptif. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’aura pas d’effets par la suite, entre autres au vu des nominations au conclave, très orientées. Mais ce sera sans doute autrement, même si cette suite veut s’inscrire dans ses pas.
Concrètement, le progressisme politique peut se perpétuer un certain temps, quitte à ce qu’à terme une réorientation s’impose, au vu des résultats peu convaincants de cette orientation. L’ambiguïté, elle, ne peut durer, la fonction pontificale étant essentiellement magistérielle : il ne s’agit pas de tout régenter, mais d’être clair. Et il sera urgent d’insister à nouveau sur le cœur du message spécifique du christianisme : l’annonce du salut, de la vie éternelle en Dieu, salut qui passe par le Christ et donc par la foi en Lui, et en qui seul se fonde la charité.
Reste pour l’avenir un point majeur : la centralité omniprésente du pape dans l’Église, où François est le point culminant d’une évolution qui avait commencé au XIXe siècle et n’a fait que se renforcer avec les papes postconciliaires, jusqu’à lui inclus, et clairement à l’excès. Mais sur ce point l’avenir est ouvert.
Illustration : François, spécialiste incontesté en péchés innovants adaptés au monde moderne.