Monde
Les libertés ne s’octroient pas, elles se prennent !
L’Union européenne veut imposer sa loi : la France s’y soustrait parfois, mais elle s’y conforme surtout avec un certain zèle. Autopsie d’une servitude volontaire.
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Le droit est devenu la morale, et la morale a supplanté la raison : désormais s’imposent à la société des règles partisanes qui ne souffrent aucune discussion. La liberté d’opinion n’existe plus, l’État se confond avec les coteries, et c’est en fait vers le totalitarisme que nous emmènent les bons apôtres du triomphe de la morale.
L’extrémisme se porte à merveille de nos jours. Il est de bon ton (pour ne pas dire plus), désormais, de pousser une prise de position jusqu’à ses dernières limites. Ainsi, on ne peut pas dénoncer les dangers de l’alcool et du tabac sans se prononcer en faveur de leur prohibition totale. On ne peut être attaché à la laïcité sans s’offusquer de la présence d’une crèche de Noël dans les locaux d’une mairie. Il n’est plus permis, de nos jours, de se montrer sensible aux problèmes de la pollution et du climat sans souscrire aux préconisations des ayatollahs de l’écologie. Imbus de leur prétendue morale, ceux-ci se comportent comme s’ils avaient tous les droits ou, plus exactement, comme si le droit légitimait leurs actions illégales : qu’on se rappelle leur destruction d’un MacDo à Millau en août 1999, ou le fauchage d’un champ d’OGM en Ariège, en avril 2000, ou, en 2022, leur tentative de s’opposer par la force à l’ouverture d’un centre religieux en Ardèche. Et ils ne sont pas seuls de leur espèce. Souvenons-nous de ces présidents de conseils départementaux qui annoncèrent leur intention de ne pas appliquer la loi Immigration du gouvernement Attal si elle n’était pas retoquée par le Conseil Constitutionnel… au mépris de la loi… et de la Constitution.
C’est la confusion totale de la morale et du droit par subsomption du second dans la première. Ce qui est la porte ouverte à l’arbitraire le plus total et le plus tyrannique. Car si, bien entendu, le droit doit s’inspirer de la morale, il importe absolument qu’il n’en soit pas l’application pure et simple. Et il importe surtout de ne pas se méprendre sur la nature de la morale. Car celle-ci, nonobstant sa dimension abstraite de commandement impératif, procède de ressorts psychologiques et affectifs indépendants de la raison, laquelle les tient à distance et, par là, évite à la faculté de jugement son asservissement aux sentiments, lui conférant par là même l’autorité qui s’impose à tous, indépendamment des états d’esprit de chacun, et la consacre ainsi comme morale. La morale, faculté de juger, consiste en un équilibre subtil entre l’affectivité et la raison. Cet équilibre rend possible, du même coup, le droit, lequel procède de la raison, (cor)rectrice du sentiment ou de l’émotion (ou du préjugé). Le droit, ainsi, ne saurait obéir à la loi des sentiments, des désirs, des préférences ou des aversions. Il est indépendant, autonome. C’est par là qu’il s’impose. Le droit n’est pas le droit s’il cède à toutes les pressions, s’il ploie sous les coups de force politiques, physiques, médiatiques et autres des groupes de pression les plus divers, et s’il légalise systématiquement leurs revendications, qu’il les satisfasse par une loi constitutionnelle, une loi organique ou une loi ordinaire. Car alors, il capitule lâchement.
Et cette lâcheté n’est pas sans conséquence. Instrumentalisée à qui mieux mieux par tous les groupes de pression, la loi ne garantit plus les libertés publiques, et le droit ne joue plus son rôle de sauvegarde des valeurs assurant la pérennité de la civilisation, et donc de la vie sociale et morale des individus la composant. La loi n’est plus élaborée par des parlementaires spécialisés de la commission des lois, capables de faire prévaloir leur qualité de législateurs sur leur attache partisane, et sous l’autorité intellectuelle et morale de juristes éprouvés, mais édictée par des groupes de pression étroitement partisans et des députés fanatiquement militants. Et qui l’imposent à la société sans se soucier le moins du monde de son consentement, et en se couvrant de l’alibi progressiste. Cela relève d’une monstrueuse mystification. Le droit est alors conçu comme la nécessité impérieuse de soumettre la collectivité à l’application d’une idée partisane qui, en raison de sa justification morale ou théorique (en réalité le plus souvent relative, et fréquemment discutable), ne souffre aucune limite et étouffe toutes les oppositions au nom de l’exigence de justice et de vérité qu’elle prétend représenter.
Dès lors, la liberté d’opinion subsiste à peine, de manière toute théorique. Le politique légifère et décide au mépris de l’opinion publique, celle des individus comme celle de la majorité de la population. Il légifère et décide en vertu de ce qu’il considère comme émanant de la morale, sans que le lien de nécessité qu’il postule entre cette dernière et sa décision soit prouvé, et donc en vertu d’un choix purement partisan. La confusion de l’État avec un parti, ou sa soumission à un (ou des) lobby(ies) ou à un (ou des) groupe(s) de pression est le pendant de la soumission du droit à la morale et de celle-ci à la passion, au sentiment, à l’affectivité.
L’État républicain est théoriquement et juridiquement neutre à l’égard des partis, des groupes de pression, lobbies et associations diverses. Si ce principe a, sous nos diverses républiques, souffert bien des exceptions, il a, le plus souvent, régi la vie politique, morale et sociale de notre nation, et y a fait respecter la liberté et la pluralité d’opinions. Jusqu’à la fin de la première décennie de ce siècle, on était libre d’opiner, de professer les idées de ses préférences, de les défendre dans l’agora et les médias, et ces libertés fondamentales étaient garanties par la constitution, laquelle était dénuée d’esprit de parti ou d’option philosophique ou morale, hors l’énoncé des principes éthiques inspirateurs de nos institutions. Et cette caractéristique distinguait absolument la démocratie libérale des pays du « monde libre » des prétendues « démocraties populaires » communistes d’Europe de l’Est, de l’URSS, de la Chine, de la Mongolie ou de la Corée du nord, dirigées par des nomenklaturas maîtresses, en chacun d’eux, d’un parti unique se réclamant ouvertement d’une dictature, celle du prolétariat en l’occurrence.
C’est à un glissement vers une forme analogue de démocratie dévoyée que nous assistons, en France depuis une bonne quinzaine d’années. Aujourd’hui, nombre d’idées, de propos, de comportements, sont interdits, chez nous, et susceptibles de poursuites judiciaires. Il est pratiquement interdit de réprouver le mariage homosexuel ou le droit à l’avortement ou à la PMA, de juger nuisibles pour l’avenir de notre civilisation les manifestations de toutes sortes en faveur des LGBTQIA+, de se prononcer en faveur de la préférence nationale en matière d’aides sociales et d’emploi, de critiquer les actions politiques et militaires israéliennes au Proche-Orient, de remettre en question les « travaux » de Robert Paxton sur le gouvernement de Vichy, d’affirmer (contre la vérité officielle) la réalité de l’existence de races différentes, de défendre l’idée de différences fondamentales entre certaines des ethnies dont se compose la population mondiale, de fustiger les inconvénients du métissage sans contrôle. Et il devient de plus en plus difficile de se déclarer nationaliste, anti-européiste ou climatosceptique.
La constitution, elle, a cessé d’être impartiale. Une constitution qui garantit le droit à l’avortement et le respect de toute orientation sexuelle, ou qui, par ses ajouts et rédactions successives (25 au total !), rend possible d’assimiler une affirmation identitaire à de la xénophobie, est manifestement une constitution partisane. Ce qui est inadmissible et lourd de périls pour nos libertés fondamentales, de pensée et d’expression d’abord, et de réunion ensuite.
Avant la victoire décisive des socialistes en 1981, nombre de Français redoutaient que leur avènement débouchât sur l’instauration d’une république populaire d’orientation collectiviste peu ou prou analogue à celles des pays de l’Est. En fait, le totalitarisme qui a été installé au fil des décennies n’est pas de nature économique, à la mode communiste ; il repose sur la subversion morale par innovations sociétales. Nous nous acheminons vers la fin de l’état de droit.
Illustration : « La proposition de loi encadrant les transitions de genre fait partie d’une offensive réactionnaire globale sur les droits des personnages LGBTQIA+ en France. »