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Les libertés ne s’octroient pas, elles se prennent !

L’Union européenne veut imposer sa loi : la France s’y soustrait parfois, mais elle s’y conforme surtout avec un certain zèle. Autopsie d’une servitude volontaire.

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Les libertés ne s’octroient pas, elles se prennent !

Selon toute vraisemblance, étant donné l’ampleur de son déficit, la France fera bientôt l’objet d’une procédure européenne, censée nous remettre sur le droit chemin… La belle affaire ! Depuis que l’euro s’est substitué au franc, Paris ne s’est jamais vraiment conformé à la discipline budgétaire inscrite dans les traités européens : au cours des vingt dernières années, le déficit public a dépassé neuf fois sur dix les 3 % du PIB. D’ailleurs, comme le rappelait récemment Libération, en 2016, alors qu’il était président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker avait déclaré sur Public Sénat qu’il ne cessait d’octroyer des dérogations budgétaires à la France, « parce que c’est la France », et « qu’on ne peut pas appliquer le Pacte de stabilité de façon aveugle ». Notre pays n’en ferait-il finalement qu’à sa guise ?

En tout cas, la France s’affranchit régulièrement des règles européennes. En 2012 et 2014, par exemple, Paris avait aligné le taux de TVA appliqué aux livres numériques puis aux journaux en ligne sur celui des publications papier, sans attendre le feu vert de Bruxelles. Et voilà quelques semaines, le 14 mars, un loi visant à renchérir les vêtements à bas coût a été adoptée à l’Assemblée nationale sans tenir aucun compte du cadre européen, suscitant le désarroi des professionnels. « Certains critères présentés par l’Ademe ne sont pas compatibles avec les exigences européennes. D’un point de vue juridique, si la France met en œuvre son système, la nullité de son décret d’application pourrait être prononcée par les instances européennes », prévient ainsi Christophe Girardier, dirigeant de Glimpact, cité par LSA.

En revanche, c’est en toute légalité que la France a rétabli des contrôles à ses frontières à plusieurs reprises : en 2015, après les attentats du 13 novembre ; en pleine crise du Covid également ; sans parler des situations où le gouvernement parlait d’endiguer l’afflux de migrants. Cela fait partie du fonctionnement normal de l’espace Schengen.

Se décharger sur la Commission européenne

À l’origine, c’était d’ailleurs en marge de l’Europe communautaire que la France, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas avaient signé l’accord de 1985 facilitant la circulation d’un pays à l’autre. L’espace Schengen n’a été intégré à l’Union européenne qu’une dizaine d’années plus tard, avec le traité d’Amsterdam. Aujourd’hui encore, tous les États membres de l’Union européenne n’en font pas partie : l’Irlande, en particulier, se maintient à l’écart. À l’inverse, l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse l’ont rejoint… sans avoir adhéré à l’UE. En cela, bien qu’il symbolise l’abolition des frontières, l’espace Schengen incarne également l’Europe des libres coopérations !

Autre paradoxe : ce sont parfois les États eux-mêmes qui entretiennent l’image d’une Commission européenne toute-puissante. Selon le témoignage d’un fonctionnaire européen cité par Jean Quatremer sur son blog Coulisses de Bruxelles, il arrive ainsi « que des gouvernements nous demandent de proposer telle ou telle réforme […] en nous avertissant qu’ils nous en feront porter la responsabilité ».

Et quand la Commission propose de rétrocéder des responsabilités aux États, ceux-ci peuvent rechigner à s’en emparer. On l’a vu en 2017-2018, quand Bruxelles voulait « renforcer les compétences des États membres en matière de choix et de modalités d’affectation des ressources de la PAC ». Dans l’Hexagone, où l’on profite tout particulièrement de la manne budgétaire associée à la Politique agricole commune, cette perspective avait suscité bien des inquiétudes. D’où la réaction de Paris : « la France s’oppose à toute “renationalisation” de la PAC », résumait alors le média Euractiv.

Aucune directive n’est adoptée sans l’approbation des représentants de chaque gouvernement

Il est vrai, malgré tout, que la Commission dispose du monopole de l’initiative législative. Autrement dit, formellement, c’est elle qui présente les textes. Mais l’impulsion du Conseil européen réunissant les chefs d’État ou de gouvernement n’est pas sans incidence sur ses travaux. Et surtout, aucune directive ni aucun règlement n’est adopté sans l’approbation conjointe du Parlement européen et du Conseil des ministres, où siègent les représentants de chaque gouvernement.

Cela, bien des journalistes semblent l’oublier. En février dernier, alors qu’il était question d’imposer une visite médicale régulière à quiconque voudrait conserver son permis de conduire, le vote du Parlement européen a été largement commenté dans la presse. Mais deux mois plus tôt, quand le Conseil avait lui-même pris position sur la même question, cela n’avait suscité quasiment aucune réaction dans les médias français.

À cette occasion, par la voix de Cyril Piquemal, représentant permanent adjoint de la France auprès de l’Union européenne, le Gouvernement avait soutenu des propositions « qui imposent a minima un recours à l’auto-évaluation [médicale] pour la délivrance et le renouvellement du permis de conduire ». Clément Beaune, alors ministre des Transports, n’avait pourtant rien annoncé de tel au mois octobre, dans son entretien accordé à Sud Radio : « La France ne demande pas, ne soutient pas l’idée qu’on impose une forme de contrainte ou de mur, de date de péremption avec un âge pour le permis de conduire », avait-il déclaré au micro de Jean-Jacques Bourdin, rassurant les auditeurs – en partie à tort.

Le monstre échappe à ses créateurs

Ce double discours est-il le fruit d’une duplicité délibérée ? Reflète-t-il plutôt la méconnaissance par un ministre des dossiers qu’il est censé traiter au niveau européen ? En tout cas, d’autres pays se prémunissent davantage d’une telle inconséquence. Comme le rappelait Jean Bizet, alors sénateur, dans un rapport parlementaire présenté en 2016, « dans notre système […], le pouvoir exécutif n’est pas juridiquement tenu de se conformer aux résolutions votées par les assemblées parlementaires » ; « il n’existe pas, comme dans certains États membres, la Finlande et le Danemark par exemple, de mandat de négociation auquel le gouvernement doit obligatoirement se tenir ».

Rien de tel en France donc, où le gouvernement a les mains libres quand ses ministres siègent au Conseil de l’Union européenne. Suivant les cas, les décisions y sont prises à l’unanimité ou bien à la majorité qualifiée. Mais en pratique, comme le constate sur X (Twitter) Léo Lictevout, journaliste à Contexte, « en quinze ans, il n’y a que trois textes européens qui ont été adoptés sans le vote “pour” de la France : un texte sur l’étiquetage AOP des vins aromatisés (vote contre), un sur les produits dérivés du phoque et un sur le miel (abstentions) » ; « la France a voté pour tous les autres textes ».

Sans doute les textes en question font-ils souvent l’objet d’un compromis, d’une transaction… Mais voilà : sauf exception rarissime, la France pèse suffisamment lourd en Europe pour qu’aucune disposition n’y soit entérinée sans son aval. Et cela, même s’il lui arrive parfois de s’en mordre les doigts. On se souvient de la directive limitant le temps de travail, adoptée en 2003 avec le soutien actif du gouvernement français… mais dont la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a décrété des années plus tard, en 2012, qu’elle devrait aussi s’appliquer aux militaires, ce que personne n’avait anticipé à Paris.

Ainsi le monstre échappe-t-il à ses créateurs. Mais cette inclination des juges européens à donner aux textes une portée bien plus large que celle envisagée à l’origine ne leur est pas exclusive, loin s’en faut. Le Conseil constitutionnel présente le même travers. De plus, comparé à la Cour de Karlsruhe, qui joue un rôle similaire au sien en Allemagne, il se montre moins regardant quand il s’agit de fixer des bornes à l’Union européenne. Ici comme ailleurs, les libertés ne s’octroient pas, elles se prennent !

 

Illustration : « Moi, j’exerce le mandat pour lequel j’ai été élue il y a cinq ans. Je suis pleinement mobilisée, notamment comme présidente du groupe Renew. C’est comme cela que je suis la plus utile aux Français, car aucun texte ne peut être voté au Parlement européen sans notre soutien. Nous avons été décisifs. »… Hélas !

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