Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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Évoquant une révision constitutionnelle qui modifierait les règles de mise en œuvre du référendum, Emmanuel Macron et Laurent Fabius ont strictement délimité les pouvoirs d’un peuple souverain… « mais », c’est-à-dire limité dans ses choix au cadre fixé par l’oligarchie.
Lors du discours prononcé au Conseil constitutionnel pour le 65e anniversaire du texte de 1958, Emmanuel Macron nous a délivré sa vision de l’esprit du texte « voulu et proposé par le général De Gaulle aux Français », et « dont la substance pourrait être définie par trois mots […] transmission, révolution et action. La transmission d’une histoire dont nous sommes les dépositaires, la révolution comme principe de renouvellement perpétuel et l’action au service de nos concitoyens ».
Tradition d’abord, il voit dans le texte de 1958, brossant une vaste perspective historico-juridique, une synthèse des textes précédents, empruntant tel ou tel principe aux uns et aux autres. Révolution permanente ensuite, il s’agit ici, comme avec d’autres de ses initiatives, de prétendre se placer dans la succession gaullienne en appelant à « un moment de régénération » – le président citant ici Péguy : « Une Révolution n’est pas une opération par laquelle on se contredit. C’est une opération par laquelle réellement on se renouvelle ». Un cadre persisterait donc, celui des quatre piliers constitutionnels exprimant « le contrat passé par chaque citoyen avec la Nation, et par la Nation avec elle-même [sic] », contenus dans l’article premier de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Voilà sur quoi reposerait « notre communauté de destin qui est aussi le premier degré vers l’universel ».
Une fois ces considérations générales évoquées, Emmanuel Macron a repris quelques éléments de cette évolution institutionnelle qu’il appelle de ses vœux depuis son arrivée au pouvoir. Elle concerne la décentralisation, à revoir à cause de l’enchevêtrement des compétences, l’indépendance du Parquet, l’amélioration de la procédure législative ou l’inscription dans la Constitution de « la liberté des femmes de pouvoir recourir à l’interruption volontaire de grossesse » comme de la protection du climat. Mais le Président va surtout évoquer les éléments permettant « aux citoyens d’être […] davantage sollicités et mieux associés », au premier rang desquels le référendum.
Emmanuel Macron considère en effet que « la question de l’extension du champ référendaire » est d’autant plus centrale que « le référendum est un choix souverain de la nation regardant son avenir ». Pour autant, on bute aussitôt sur les limites dans lesquelles cette souveraineté, loin d’être absolue, va se trouver contrainte. En considérant ainsi que le « souverain » ne l’est que dans des limites qu’il se serait fixé lui-même, on néglige, d’une part, le fait qu’elles sont aussi modifiées par d’autres pouvoirs, et, d’autre part, on oublie que, par définition, le souverain est toujours libre de revenir sur ses propres choix antérieurs.
Et pourtant. Premier élément, de cet encadrement, le droit : « Cette souveraineté du peuple s’accorde aussi avec l’idéal d’État de droit ». Emmanuel Macron considère certes qu’un équilibre est à trouver : « Un régime qui respecterait l’État de droit mais aurait perdu le sens de la souveraineté du peuple ne serait plus une république. Il pencherait vers un gouvernement juridictionnel. À l’inverse, un gouvernement élu qui ne respecterait plus l’État de droit reviendrait à acquiescer la tyrannie de la majorité, la persécution des minorités, l’oppression des oppositions. » Mais c’est dans la pratique à la première solution qu’il revient quand il déclare qu’« une République, c’est un peuple qui s’exprime et se détermine de manière souveraine, mais au sein d’un univers de valeurs démocratiques qui l’a précédé et lui survivra. » Souverain « mais », tout est dit en effet avec cette formule qui donne toute leur place à ceux qui auront pour mission de vérifier la conformité de l’expression populaire et des « valeurs démocratiques » qui, devant perdurer, ne sauraient être remises en cause : les juges, ici principalement le juge constitutionnel national et les juges internationaux. Quand Emmanuel Macron rappelle sur ce point le caractère intangible du droit d’asile, comment ne pas penser en effet au poids des jurisprudences en la matière ?
Seconde limite, l’Union européenne, car « cette souveraineté du peuple […] s’enchâsse dans notre Europe ». Certes, le Président rappelle que « le Conseil constitutionnel a dans son office la charge de s’assurer que la mise en conformité de nos lois nationales avec les règles européennes que nous choisissons respecte, chaque fois, l’“identité constitutionnelle de la France” ». Il en déduit que « l’Europe n’est donc jamais une dépossession. C’est au contraire la saisie plus forte de notre avenir, en toute souveraineté. » Naïveté ? Il semble bien en effet que le juge européen, dans son interprétation des traités, ait une idée très limitée de la « souveraineté constitutionnelle » des États… Là encore, dans la pratique, c’est bien de restrictions des choix du peuple souverain qu’il s’agit : pas question par exemple de s’affranchir du droit européen en matière de contrôle de l’immigration.
Le peuple « souverain » ne saurait donc remettre en cause les valeurs démocratiques résultant des jurisprudences nationale et internationale, non plus que les critères européens, ce qui relativise l’extension du champ référendaire. Emmanuel Macron est par ailleurs favorable à la modification des règles encadrant la mise en œuvre du référendum d’initiative partagée, procédure « aujourd’hui excessivement contrainte ». Mais le Président bute ici sur une autre question, « celle qui consiste aussi à établir des garanties solides pour éviter la concurrence des légitimités. »
Avec qui donc existerait cette concurrence de légitimité du peuple souverain ? Avec le Parlement dès que textes législatifs et lois référendaires s’opposeraient. « Vouloir faire un référendum sur le sujet qui vient d’être débattu par le Parlement et d’être tranché par une loi n’est, je crois, pas de l’ordre du bon gouvernement ». « À l’inverse », ajoute le président, rappelant ici le « ressentiment qui était né du vote de 2007 revenant sur les résultats du référendum de 2005 », « si le peuple sollicité par un référendum venait à décider de tel ou tel sujet et que le Parlement pouvait y revenir un an, deux ans plus tard, dans les mêmes termes et défaire ce qui venait d’être dit, le peuple se sentirait légitimement floué ». Ainsi présenté, on voit mal en effet comment concilier les deux légitimités, mais ont-elles à l’être ?
C’est toute la question de ce nouveau « en même temps » présidentiel et du « système permanent de balancier » qu’il dénonce, quand, une fois de plus, la seule question qui vaille est celle du souverain, c’est-à-dire de celui qui, seul, peut avoir le dernier mot. Certes, selon la Constitution (art. 3) : « La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par le biais du référendum », mais cela ne suffit pas à rendre égaux les deux pouvoirs. Il est bien évident que lorsque le peuple, par référendum, abroge un texte parlementaire, il s’agit d’une procédure comparable à un « lit de justice » d’Ancien régime, par laquelle le souverain, estimant que des pouvoirs délégués ont failli, impose sa volonté. Au contraire, quand, après une claire expression populaire, le Parlement revient sur le choix du peuple souverain, il s’agit d’une trahison pure et simple. Et vouloir confondre les deux comme le fait le Président montre finalement le peu de cas qu’il fait de la souveraineté du peuple.
D’où d’ailleurs l’idée, une nouvelle fois exprimée, de trouver d’autres modes d’expression populaire, cette fois sous contrôle, ceux de la démocratie participative. Pour le Président, le référendum « n’épuise pas l’aspiration à plus de démocratie et la volonté qu’ont aussi nos concitoyens à être mieux associés à la fabrique de la loi pour en renforcer la légitimité », et « le Conseil National de la Refondation », la « réforme du Conseil économique, social et environnemental », les « conventions citoyennes », toutes « ces innovations démocratiques, sont complémentaires de la question du référendum ». La messe est dite, il ne manque plus que l’application Agora, « Tripadvisor de la démocratie » selon le ministre délégué chargé du Renouveau démocratique, Olivier Véran, permettant des « consultations numériques » comme de poser des questions aux ministres.
À ces considérations présidentielles, Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, avait déjà en partie répondu en expliquant comment tout était en fait cadenassé. Une modification du champ référendaire, d’abord, ne pourrait se faire que suivant la procédure de révision : « les prescriptions de la Constitution relatives au referendum peuvent certes être modifiées, mais à la condition de suivre la procédure de révision prévue par la Constitution dans son chapitre précisément intitulé ”De la révision” ». Pas question donc pour un futur président d’utiliser l’article 11 et de se passer de l’aval des deux chambres : « la procédure référendaire – ajoute Fabius – […] comporte plusieurs intervenants : le président de la République, le Parlement, le Conseil constitutionnel, le peuple. Sans doute ce ne fut pas la pratique suivie lors des référendums de 1962 et 1969. Mais c’est le droit constamment respecté depuis lors ». Et, on l’aura compris dans cette phrase qui place le Conseil constitutionnel entre le Parlement et le peuple, pas question non plus de faire abstraction de la jurisprudence Hauchemaille par lequel le Conseil constitutionnel s’est auto-attribué une sorte de droit de veto : « La jurisprudence donne désormais expressément compétence au Conseil constitutionnel pour, en amont, contrôler notamment la validité du décret de convocation des électeurs et donc la régularité de la question posée » – qui devra notamment l’être à cette aune fabiusienne selon laquelle « tout référendum doit porter non sur un slogan flou et passionnel mais sur un texte précis de loi. »
Beaucoup de bruit pour rien ? Puisqu’il faut réviser la Constitution, l’Assemblée nationale et le Sénat doivent d’abord voter un texte identique, ensuite soumis au référendum ou voté par les trois cinquièmes du Parlement réuni en Congrès. Pas certain donc que l’on ait au bout du compte autre chose qu’une réforme très limitée, et si référendum il y a sur un point acquis d’avance pour redorer le blason présidentiel. Mais ces déclarations traduisent en tout cas clairement la manière dont l’oligarchie juridico-politique qui a capté le pouvoir entend légitimer sa conservation, y compris contre le peuple.