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LACTALIS : raison garder

Dans l’affaire Lactalis, il est indispensable de voir clair. Ce n’est pas en idéologisant le débat qu’il sera rendu plus simple. Au contraire.

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LACTALIS : raison garder

Lactalis illustre, dans toutes les dimensions, les caractères français. Comme les très grosses sociétés mondialisées, l’entreprise a imposé ses prix aux producteurs de lait, son image en a été certes dégradée. Mais il y a des explications. En revanche dans cette affaire sanitaire qui vient de nouveau à charge au tribunal des bien-pensants, les conséquences médicales sont sans commune mesure avec les réactions de l’opinion, de la presse et du pouvoir. On espère que cet acharnement ne coûtera à l’entreprise que l’indemnisation des clients pour une faute sanitaire. On peut s’interroger : pourquoi tant de haine ?

Lactalis, la salmonelle et la grande distribution

« Retrait de toute boîte de lait infantile produite sur le site de Craon en Mayenne, quelle que soit la date de fabrication, dans tous les lieux de commercialisation, en particulier la grande distribution et les pharmacies », a exigé, martial, Bruno Le Maire, samedi 13 janvier, après une rencontre avec Emmanuel Besnier, le PDG du numéro un mondial des produits laitiers. Une mesure « radicale », a convenu le ministre de l’Économie, rendue indispensable pour « éviter tout nouveau problème sanitaire ». Il se trouve que les services sanitaires ont inspecté Lactalis en septembre ; ils n’ont, dans les locaux des usines concernées par les retraits de produits, décelé aucune trace de salmonelles. Pourtant, on sait aujourd’hui que la contamination était antérieure au mois de septembre. Là, le ministre est muet et n’a pas livré à la vindicte publique les fonctionnaires « défaillants » ! Le lait contaminé a infecté plusieurs nourrissons. Le coupable : une bactérie, la salmonella enterica sérotype Agona. Une des 2 000 sortes de salmonelles actuellement recensées dans le monde. Une contamination dispersée s’est installée dans l’usine de Craon suite à des travaux.

On recense en moyenne en France 300 cas par millions d’habitants et par an selon le ministère de l’Agriculture. Les salmonelles sont présentes dans les tubes digestifs des porcs, bovins, chiens, chats, rongeurs et des volailles domestiques. L’absorption d’aliments contaminés ne provoque pas nécessairement une salmonellose. Dans le cas Lactalis, il s’agit d’une affection de type gastro-entérite. Généralement bénigne pour l’adulte en bonne santé, elle peut s’avérer dangereuse, voire mortelle, pour les sujets les plus fragiles : nourrissons, personnes âgées. Chaque année, en France, ont lieu 60 000 prélèvements effectués par les services de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), dont découlent 100 000 analyses.

La grande distribution a sa responsabilité, elle aussi, puisque selon l’aveu de M.E. Leclerc lui-même il y a eu défaillance humaine, ajoutant que : « pour l’heure aucun cas d’enfant malade à cause de cette erreur n’avait été signalé ». Comprenez que seuls les lots primitivement vendus par Lactalis sont en cause. Solidaire ?

Lactalis, les militants et le ministre

Une quarantaine de nourrissons sont donc victimes de la salmonelle dont quelques-uns en Grèce et en Espagne, Cela vaut-il de montrer du doigt l’entreprise aux yeux du monde entier, un champion national des produits laitiers pour une défaillance sanitaire ? Le pouvoir, les médias l’ont fait avec ce même aplomb qui ignore que le risque sanitaire est une autre modalité du risque d’entreprendre, car le risque zéro n’existe pas.

Qui s’est ému que l’Assistance Publique ait plus de morts par maladies nosocomiales qu’il n’y a de morts par accidents de la route ? Silence, c’est l’État et celui-ci ne peut se tromper. D’aucuns caressent déjà le business de l’indemnisation comme les associations politiques en font leur profit. On joue un peu ici avec le feu. Allez demander aux habitants de Craon ce qu’ils pensent de ce battage médiatique. Bien entendu, le ministre Le Maire dont c’est la spécialité, a enfourché le rôle de donneur de leçon, alors même que, comme ministre de l’Économie, il devrait avoir un peu plus le souci de l’entreprise en ne la mettant pas en cause gravement : 75 000 salariés. Avec sa tête de premier de classe, le voilà qui flatte l’opinion en bon « fayot » de la classe médiatique. Faut-il lui rappeler que l’État n’est strictement pour rien dans la formidable croissance de Lactalis. Évidemment, l’État a un rôle à jouer, mais certes pas celui d’accompagner le militantisme anticapitaliste, pas plus que de se substituer à la justice. Le Maire a oublié ce qu’on lui a appris à l’ENA sur la séparation des pouvoirs. Que dire des comptes publics ? Sont-ils transparents, monsieur le Ministre ?

Il est vrai que l’entreprise Lactalis, elle, n’est pas transparente ; son patron est un homme secret ; on ne le verra pas dans les lieux privilégiés de la jet-set ; il se murmure – 15e fortune de France, avant Bouygues et Ricard – qu’il n’a même pas de pied-à-terre parisien ! L’entreprise ne publie pas ses comptes et elle se range du côté des « non cotés » comme la famille Mulliez (Auchan, Décathlon) pour éviter toute OPA boursière. Le Canard Enchaîné, qui fut à l’origine de l’affaire, a maintenant pris la suite du quotidien du PCF, L’Humanité, désormais inaudible dans sa dénonciation du « grand capital ». Et tous les militants altermondialistes de se frotter les mains ; on a vu des parents dont les enfants n’étaient pas contaminés, s’ériger en porte-parole d’associations de circonstances qui ne sont attirées que par l’appât du gain à l’instar du droit-de-l’hommisme et de l’antiracisme dont chacun sait qu’il s’agit d’un excellent business. En France, il est immoral de gagner de l’argent par l’entreprise, mais il est tout à fait moral d’en ramasser un peu en se faisant le censeur de ceux qui ont construit de formidables entreprises. Emmanuel Besnier est, en effet, la troisième génération d’une entreprise lavalloise qui, par croissance externe, est devenue un géant.

Bien entendu, on ne peut que comprendre l’angoisse des mères et juger sévèrement le fait, non encore avéré, d’avoir fait passer le profit avant la santé. Mais la présomption d’innocence existe aussi en ce domaine. Et puis il y a l’emploi, en France 15 000 emplois ; et pour l’heure le chômage technique pour les employés de l’usine de Craon. Le site est en partie à l’arrêt depuis plus d’un mois. L’autorisation de chômage partiel porte sur une période de quatre semaines, du 8 janvier au 4 février 2018. Elle concerne 250 salariés sur un effectif total de 327 salariés dans une ville qui compte 4 600 habitants ; l’impact est important. Des mesures sont mises en place par Lactalis pour limiter l’activité partielle. Sur les 250 salariés au chômage partiel, 70 ont accepté d’être répartis provisoirement sur d’autres sites du groupe, à Retiers ou Vitré en Ille-et-Vilaine. 180 sont en revanche sans aucune activité. Mais Lactalis s’engage à garantir le maintien à 100% de la rémunération nette des salariés concernés par le chômage partiel. L’entreprise va donc compléter ce que l’État ne prendra pas en charge.

État contre entreprise : qui a tort, qui a raison ?

Michel Nalet, directeur de la communication de Lactalis.

Emmanuel Macron a assuré que « des sanctions seront prises » si « des pratiques inacceptables » sont avérées. Bruno Le Maire, a estimé, tirant la couverture médiatique à lui, lors d’une conférence de presse à Bercy, que « l’État [avait] dû se substituer à une entreprise défaillante», qui a refusé d’opérer les retraits de produits qu’avait demandés son directeur de cabinet lors d’un entretien téléphonique avec Emmanuel Besnier le 9 décembre. Lactalis conteste cette version des faits, affirmant que « le seul objet de la discussion était la date à laquelle opérer le retrait total des produits ». Sur ce point, Emmanuel Besnier estimait n’avoir pas encore en main les résultats justifiant une telle décision. « Lorsque cela a été le cas, nous avons décidé de le faire », a expliqué son directeur de la communication, Michel Nalet. À dire vrai nous ne pourrons savoir qui dit la vérité ; en revanche nous savons déjà qui a toujours raison. Emmanuel Besnier, qui ne s’était jusqu’ici pas exprimé au sujet de l’affaire qui ébranle son entreprise, a assuré avoir eu avant tout à l’esprit les conséquences de cette crise sanitaire pour les consommateurs, « des bébés de moins de six mois », a-t-il rappelé : « C’est pour nous, pour moi, une très grande inquiétude ». Élargissant encore les rappels successifs lancés depuis début décembre en vue du retrait des produits, le patron du groupe a affirmé avoir lui-même proposé au gouvernement cette mesure qui s’étend à 83 pays. « Il faut mesurer l’ampleur de cette opération : plus de 12 millions de boîtes sont concernées », a-t-il révélé, assurant que les distributeurs n’auront plus à trier. « Ils savent qu’il faut tout retirer des rayons. »

Du prix du lait aux contrôles sanitaires : la revanche !

Le marché du lait se porte bien : il est évalué à 27 milliards d’euros par an en France. Mais les petits producteurs peinent à équilibrer leurs comptes ; ils mettent en cause le prix du lait mais jamais la MSA qui leurs prend des charges pour des retraites de misère. Lactalis traite les éleveurs avec lesquels il travaille avec une grande fermeté sur les prix. On entend à cette occasion parler d’ultra-libéralisme et de mondialisation. En l’occurrence, c’est plutôt de l’ultra-capitalisme, parce que monopolistique, et qui, en effet, est le résultat de la mondialisation. Cela afin de faire face à la concurrence mondiale qui est structurellement baissière ; c’est d’ailleurs ce qui explique le peu d’inflation de l’économie actuelle. Mais, dans cette affaire, le PDG de Lactalis n’ayant pas cédé sur les prix, il se dégage la fâcheuse impression que la sphère politico-médiatique cherche à prendre une revanche. Les producteurs laitiers n’en auront aucun bénéfice. Ils craignent désormais que l’affaire n’aille pas plus loin et ne conduise à des pertes d’emplois ou de débouchés.

En tout état de cause, selon Agnès Buzyn, ministre de la Santé, il n’est « pas question de fixer une date de reprise de l’activité de l’usine de Craon en cause tant que les services vétérinaires n’auront pas identifié la source de la contamination ». Avouant par là indirectement l’extrême difficulté à identifier la source exacte de la bactérie et les moyens de son éradication. Ce qui indique clairement que la difficulté, si elle est constatée après, existait aussi avant.

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