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Haro sur les reliques ! Quand la République abroge le délit de blasphème en Alsace-Lorraine

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Haro sur les reliques ! Quand la République abroge le délit de blasphème en Alsace-Lorraine

C’était il y a 6 ans. Alors que la France était sous l’émotion des attaques contre Charlie Hebdo, beaucoup s’interrogeaient sur les causes des attentats, mais aussi sur les réactions à retenir face à ceux qui attaquaient la presse au nom de caricatures religieuses. La réponse était claire : puisque l’on meurt au nom de caricatures du prophète, il faut donc admettre le blasphème. C’est ainsi que fut proposée une démarche que nul n’avait vraiment envisagée auparavant : supprimer dans le droit local alsacien-mosellan un délit de blasphème remontant à la présence allemande après l’annexion de 1870. Ce délit, figurant à l’article 126 du Code pénal applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, prévoyait tout simplement que « celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire de la Confédération et reconnue comme corporation, ou les institutions ou cérémonies de ces cultes, ou qui, dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus ». Haro donc sur le délit de blasphème, pourtant adopté dans une société chrétienne éloignée de l’islam. Un délit qui, visiblement, ne gênait personne. Sauf des esprits chagrins pour qui la lutte contre l’islamisme devait aussi passer par la mise à l’écart du vernis encore chrétien de nos sociétés. Au nom de « l’esprit Charlie », des politiques, des juristes et même des religieux s’empressèrent d’exhumer la relique, vestige de cette présence germanique et d’un substrat relativement chrétien. Comme si pour s’interroger sur l’horreur, il fallait blasphémer davantage. Les dieux du blasphème ont toujours soif ! C’est ainsi que fut proposée l’abrogation de ce délit qui, pourtant, ne conduisait plus à des condamnations pénales. En 2016, juste après le massacre du Bataclan, les partisans de la suppression de ce délit revinrent à la charge. Un amendement fut donc déposé, puis adopté le 9 juin 2016. Si le ministère de la Justice rappela en janvier 2016 l’inapplicabilité de ce délit dans une réponse à une question écrite posée par député, c’est une loi « hollandienne », la loi Égalité et Citoyenneté du 27 janvier 2017, qui procéda à son abrogation. Le délit fut donc retiré d’une législation particulariste, fruit des heureuses retrouvailles de 1918. Pour faciliter le retour à la mère-patrie des Alsaciens et des Lorrains, la République comprit intelligemment qu’on ne pouvait faire table rase du passé ou envoyer paître des cultes ayant pignon sur rue. Pas question de supprimer le régime concordataire dont bénéficiaient les catholiques, les juifs et les protestants. Au passage, en Alsace, y compris après Vatican II, l’Église catholique n’a jamais demandé la suppression du traitement des évêques et des prêtres, alors même qu’elle s’est complu à abandonner le délit de blasphème… Cela est d’autant plus étrange que, même dans les déconstructives années 1970, voire au moment de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, personne ne songea à remettre en cause ce vestige d’une époque antérieure. Sauf les modernes qui, eux, ne comprennent rien.

La sottise des modernes ne comprend rien à l’ordre symbolique

Le procès a été instruit à charge contre le délit. Mais si au lieu d’en faire un accusé, on l’entendait au moins comme témoin ? Une sanction pénale n’est pas une mise à mort. Au passage, le délit n’est pas l’infraction la plus élevée, ni la plus grave du droit pénal. Ce qui prouve que même les anciens n’entendaient pas faire du blasphème un crime au sens pénal. En revanche, l’injure à Dieu devait être pour eux un interdit minimal et structurant de toute bonne société sachant se respecter. Pour Alsaciens et Lorrains, le refus du blasphème participait de cette préséance reconnue à Dieu. Parce que c’est comme ça. Point barre. Et parce que c’était aussi comme ça, en France, il y a encore quelques décennies. Si on creuse davantage, on pourra rappeler que le blasphème refusé par le catholicisme n’est pas la mise à mort de l’infidèle pratiquée par Daesh et ses affidés… Au passage, personne n’a tué au nom d’un blasphème commis contre Dieu dans le monde chrétien. De la part des catholiques traditionnels, Charlie Hebdo n’a essuyé, au plus, que des procès et des critiques, mais pas d’agressions physiques ni d’appels au meurtre ! Des prières dites avec le chapelet, pas des ceintures d’explosifs… Le catho qui n’aime pas Charlie ne tue pas son prochain et le soin qu’il prend à accorder à Dieu l’honneur qui Lui est dû lui fait même tendre la joue droite. De cela, il n’en fut pas question lors de l’attentat contre Charlie et des attaques du Bataclan. Une occasion perdue dans le redressement de l’intelligence.

Plaidoyer pour le maintien du délit de blasphème

On pourra toujours invoquer l’argument de la désuétude pour supprimer ce qui est suranné. Mais, dans ce cas, l’argument peut jouer en faveur du maintien d’une disposition. Si le dispositif était aussi inopérant et inoffensif, pourquoi l’avoir supprimé à grands frais, quitte à conforter les musulmans dans l’idée que la France est de moins en moins religieuse ? Qui plus est, quand ledit délit n’a tué, ni affecté personne, mais seulement effrayé des Occidentaux traînant une bien piètre conscience de leur héritage. On aurait tout simplement pu couper la poire en deux : ne pas supprimer ce délit, mais reconnaître qu’il est inapplicable comme c’était le cas depuis des décennies. C’est par ailleurs le compromis que la réponse précitée du ministère de la Justice de janvier 2016 sembla esquisser quand il affirma que ce délit « ne peut […] plus être appliqué par les juridictions françaises dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ». Nul besoin donc d’un grand pas de clerc.
Enfin, il faut s’interroger sur ce qu’est le droit dans nos démocraties libérales. Le droit, ce ne sont pas seulement des procédures ou même des sanctions. Les actuelles logiques transactionnelles ou individualistes ont brouillé la perception de ce qu’il devrait être. Le droit, ce n’est pas seulement le procureur qui requiert, le juge qui condamne ou le policier qui menotte et incarcère. C’est aussi une force symbolique qui participe à la cohésion de la société. Comment concevoir une société sans ce minimum de croyances ? Le symbole passe par les mots, fussent-ils apparemment désuets ou inadaptés, donc par des survivances qui échappent au commun des mortels. Le langage – au sens propre du terme comme au sens juridique – ne saurait être le fruit de transactions momentanées. Il est aussi constitutif d’un éthos qui dépasse les individus. Le droit ne peut donc être un instrument utilitaire destiné à se ployer aux caprices et aux lubies du moment. Il peut aussi porter ces héritages dont nos contemporains ne parviennent toujours pas à se défaire, même quand le mot « Dieu » leur semble étranger. Et qui peuvent être leur planche de salut quand tout flanche et qu’ils ne croient plus en rien. Nos sociétés vivent de ces multiples héritages que personne ne remet en cause et qui permettent au lien social de se maintenir. Il y avait donc nécessité à conserver ce délit de blasphème dans notre législation qui, au demeurant, ne gênait en rien le reste de la France. Que de sottise ! Arrêtons tout cela, nom de Dieu 

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