En utilisant tous les moyens possibles pour ouvrir le capital d’EDF, l’exécutif français applique brutalement une politique voulue à Bruxelles. Mais cette stratégie de la terre brûlée pourrait mettre en danger la sécurité électrique du pays.
On n’aura jamais vu un actionnaire aussi indifférent à la chute de valeur de son entreprise. Le 13 janvier, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire communiquait sur des mesures destinées à limiter la hausse des tarifs de l’électricité. L’une d’elle revenait à obliger EDF à effectuer des achats d’électricité sur le marché unique transfrontalier afin de la revendre quatre fois moins cher à ses concurrents sur le marché français, de quoi dégrader le futur résultat d’exploitation du groupe de plusieurs milliards d’euros. Au lendemain de cette annonce, la capitalisation d’EDF s’effondrait de 15 % sans susciter le moindre émoi de l’exécutif. Ce dernier se contentait de demander à l’électricien national de lui présenter sous cinq semaines un plan pour faire face à ses difficultés financières. Avec une conséquence probable et recherchée : l’ouverture du capital de l’entreprise.
Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à Bercy puis à l’Élysée, EDF subit avec une violence particulière les exigences de la construction européenne. En 2014, le président-directeur général Henri Proglio était brutalement démis de ses fonctions par l’État actionnaire et le Conseil d’administration remanié en un tour de main. Parmi les nouveaux entrants, l’ancienne présidente du Medef – la très anti-souverainiste Laurence Parisot – expliquait à la chaîne Bloomberg que « nous avons besoin de dessiner une stratégie très européenne pour l’énergie ». Une stratégie qui passe par un préalable indispensable : supprimer le lien capitalistique entre le champion de l’électricité nucléaire et son État propriétaire.
« Intégration européenne »
Très vite, la nouvelle gouvernance engageait EDF dans une série d’investissements hasardeux ou irréalisables mettant en danger son bilan financier. Dès janvier 2016, les syndicats du groupe dénonçaient « les mauvais choix industriels et économiques mis en œuvre de façon zélée par le gouvernement sous le regard de l’Europe ». En 2019, le Conseil d’administration d’EDF préparait un projet de découpage du groupe en plusieurs entités, afin de faciliter leur privatisation. Le plan fut fermement rejeté par de nombreux cadres dirigeants.
Afin de créer un État fédéral en Europe, la Commission de Bruxelles multiplie depuis vingt-cinq ans les mesures destinées à désintégrer les marchés nationaux. Ses grandes directives sur l’énergie de 1996 et 2003 avaient forcé EDF à se séparer de son réseau de transport d’électricité, et surtout à vendre sa production à prix préférentiel à des concurrents qui n’avaient pas investi le moindre euro dans le parc nucléaire (dispositif Arenh). Dans sa directive sur l’électricité de décembre 2018, la Commission a fixé les règles pour construire un espace européen plus intégré. La nouvelle réglementation limite notamment les dites « aides d’État » et les tarifs réglementés, et promeut l’ouverture du secteur aux marchés financiers.
Électricité de France va-t-il être vendu ? Nul doute que les fonds d’investissement allemands ou américains lorgnent sur les très riches actifs du plus gros producteur européen d’électricité, et espèrent laisser à la charge de la puissance publique le passif et les lourds engagements hors bilan. Mais la déstabilisation volontaire d’EDF depuis 2014 pourrait avoir provoqué des effets secondaires non négligeables, en forçant l’industriel à se battre sur d’autres fronts que ses métiers de base. Dans un communiqué publié en novembre 2019, le syndicat CFE-CGC réunissant les cadres du secteur de l’énergie jugeait que la marge de sécurité pour assurer l’approvisionnement des Français en électricité n’était plus garantie. Il appelait au retour à une politique pragmatique et s’inquiétait pour « la sécurité électrique du pays ». Rien moins.