Comme lui, ils sont des centaines de milliers à avoir quitté le système de la Sécurité sociale. L’entrepreneur Laurent C. nous raconte son combat pour l’assurance libre, dans un contexte où les charges sociales augmentent depuis quinze ans.
Pourquoi avez-vous quitté le système de la Sécurité sociale ?
J’avais entendu parler il y a longtemps de cette directive de 1995 qui était censée permettre de quitter la Sécurité sociale. Mais le déclencheur est venu bien plus tard, en 2013. Je n’étais alors plus salarié mais à mon compte. D’une année sur l’autre, j’ai subi une hausse des prélèvements obligatoires de 30% à revenus identiques ! C’en était trop. J’ai alors cherché à savoir comment je pourrais m’assurer ailleurs. J’ai entendu parler de l’association de Claude Reichmann * et j’ai suivi la procédure conseillée. Puis j’ai décidé de raconter les développements dans un blog et dans un livre pour que chacun puisse se faire son idée (http://jequittelasecu.blogspot.fr/).
Avez-vous trouvé facilement une assurance privée ?
Oui, mais à l’étranger, car la Sécurité sociale fait pression pour que personne en France ne propose d’offres sur ce marché. Elle affirme que c’est illégal. Pour ma part j’ai vraiment été très satisfait de la mutuelle que j’avais contractée. Je payais un forfait fixe de 370 euros par mois quelques soient mes revenus et j’étais remboursé à 100% sur à peu près tout ainsi que mes enfants. C’était beaucoup moins cher que ce que je versais à la Sécu. J’avais également décidé de cotiser librement pour ma retraite et j’avais choisi une banque solide qui n’utilise pas de levier financier.
Vous parlez de cela au passé…
En effet, je ne suis plus un libéré de la Sécu. Après la parution de mon livre, les Urssaf ont effectué un contrôle sur mon entreprise et m’ont dit que je n’avais pas le droit d’être inscrit en tant que travailleur non salarié. Ils voulaient m’imposer trois ans de pénalités de retard. J’ai alors effectué une transaction avec eux pour ne pas mettre mon entreprise en danger et suis redevenu salarié au 1er janvier dernier. Mais si je n’avais pas eu 30 employés, j’aurais continué le combat.
Comment se passe un départ de la Sécurité sociale ? Comment avez-vous fait exactement ?
Il suffit d’envoyer à sa caisse sociale une lettre recommandée signifiant qu’on ne cotisera plus chez eux car on a trouvé une autre assurance ailleurs. La position que j’ai adoptée était simple : les caisses de Sécurité sociale [Régime Social des Indépendants, Urssaf, etc] sont des organismes de droit privé, mais je n’ai signé aucun contrat avec eux. Donc je suis en droit de choisir une autre mutuelle.
Précisons ce point. Vous dites bien que les caisses qui prélèvent les charges sociales sont des organismes de droit privé ?
Oui. Le RSI paye l’impôt sur les sociétés ! Le statut des Urssaf n’est pas clair. Elles ont été investies d’une mission de service public, mais elles n’ont aucun cahier des charges, il n’existe aucune transparence sur leurs comptes, il n’y a pas eu d’appels d’offres pour leurs services et on ne sait même pas s’il y a des actionnaires.
Une fois que vous ne cotisez plus, que se passe-t-il ?
Le RSI s’est mis à m’envoyer des mises en demeure. Il me considérait comme mauvais payeur, alors même que je m’étais assuré ailleurs conformément à la loi et que je les avais prévenus que je partais. Ensuite, j’ai reçu des significations de contrainte envoyées par des huissiers, ce qu’un organisme de droit privé n’a normalement pas le droit de faire. On est alors censé se défendre auprès d’une juridiction spéciale – le Tribunal des affaires sociales – alors même que le dossier relève du droit du commerce. En tout, j’ai reçu plus de 20 mises en demeure et je me suis présenté à 7 ou 8 audiences au tribunal.
Des entrepreneurs ont-ils déjà obtenu gain de cause ?
Non. Le Tribunal des affaires sociales est financé par… la Sécu, il est donc impossible de gagner sur de telles affaires [sous la pression populaire, le Parlement vient récemment de supprimer ces tribunaux partiaux – NDLR]. Aucun « libéré » n’a gagné de procès depuis vingt ans. Beaucoup d’entre eux vont jusqu’à la Cour de cassation. Ce sont des procédures qui peuvent prendre une décennie. Au cas où les libérés de la Sécu n’obtiendraient pas gain de cause, ils se protègent et font en sorte que leurs biens ne puissent pas être saisis. C’est un vrai combat, mais il vaut la peine d’être mené. Je suis loin d’être le seul : il y a quelques jours, des administrateurs du RSI ont révélé que cette caisse connait 450 000 cas de défection.
Les responsables de la Sécurité sociale affirment que ce régime est unique et qu’il y va de la solidarité au sein de la population. N’avez-vous pas eu l’impression de déroger à une forme de solidarité nationale ?
Pas du tout, d’autant que la Sécurité sociale est un régime inégalitaire. Plusieurs professions – dirigeants non salariés, rentiers, etc – peuvent choisir leurs mutuelles librement, ce que je trouve normal. En outre, il existe à la Sécu des taux de cotisation différents, des droits différents. Un boulanger qui se casse la main devra continuer à cotiser alors même qu’il ne peut plus travailler, et il ne recevra en retour aucune indemnité ! A côté de ça, le type qui a le temps et les sous pour aller à la montagne et qui se fera une entorse se verra payer ses frais médicaux par les autres. Pourquoi ? La Sécu impose une solidarité à double voie, c’est un régime d’exception. Si ce n’était pas le cas, les cotisations seraient plafonnées à un niveau maximum comme en Allemagne, alors qu’ici elles sont variables et fonction des revenus.
NB : Agé de 47 ans, père de 5 enfants, Laurent C. a crée une entreprise dans le secteur de l’informatique. Il a écrit Je quitte la Sécu (éd. Le Mammouth, 19 euros)
* Militant de longue date de l’assurance libre, Claude Reichmann préside le Mouvement pour la liberté de la protection sociale – http://www.claudereichman.com/mlps.htm