Civilisation

Monaco politique
Voilà une histoire instructive. L’intérêt tient à son caractère fondamentalement politique. Même le « people » est analysé sous cet angle. Les Grimaldi se sont, après tout, parfaitement débrouillés.
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Le 29 mai 1825, Charles X est sacré roi à Reims. C’est le dernier sacre. Le précédent remontait à 1775 : en cinquante ans, après la Révolution, l’Empire et la Restauration, c’est-à-dire après une dévastation totale des bâtiments, des symboles et des objets catholiques et royaux, les témoins ont disparu, les mémoires se sont éteintes ou ont été effacées, il faut littéralement réinventer le Sacre comme on invente un trésor.
Le duc de Doudeauville, ministre de la Maison du roi, s’attelle à la tâche et « produit » en quelques mois un événement fastueux : cadeaux, costumes, carrosses, cérémonial, meubles, palais, et même regalia, il faut tout fabriquer (on remploya, hélas, la couronne et le sceptre que Napoléon avait commandés, les meubles furent apportés des autres résidences royales), quitte à transformer le palais du Tau avec des toiles peintes imitant un palais Renaissance (tous les décors seront détruits par les Allemands en 1914).
Une fois le roi sacré, il donne un festin : temps nouveaux obligent, de même que les députés ont assisté au sacre à côté des pairs de France, ils participent au festin, tous les plats étant servis en même temps, ce qu’on appelle « à l’ambigu » : en effet… Ce que confirmera la cérémonie du lendemain, où Charles X tient une cérémonie de réception dans l’ordre du Saint-Esprit, supprimé en 1791 : Talleyrand est reçu. Le temps d’un éclair, Charles X est renversé, Louis-Philippe Ier ne veut pas de sacre, tous les costumes et tous les décors sont emballés et remisés, dans l’attente improbable d’un sacre à venir. Les lustres furent envoyés à Compiègne, puis à l’Élysée, où ils éclairent de curieuses scènes, Napoléon III fait modifier le carrosse royal pour le baptême du prince impérial, Émile Loubet passe le pouvoir à Armand Fallières en 1906 en posant ses fesses dans l’un des fauteuils de trône de Charles X. La IIIe République vend tout ce qu’elle peut, y compris les joyaux de la couronne, et fait soigneusement briser la couronne de Charles X.
Tout finit en caisses qu’on oublia jusqu’en 1901, quelques objets furent exposés, rarement, jusqu’à avril 2025 où le Mobilier national décide de restituer le dernier sacre dans tous ses fastes. On a recréé les décors éphémères qui transformèrent la cathédrale de Reims, on est allé chercher les précieux vases de Sèvres, offerts en cadeau par le roi, exposés à côté des assiettes imprimées par la manufacture de Montereau (oui, il y eut des produits dérivés pour ce sacre !), on a redéployé le manteau royal et le grand manteau de l’ordre du Saint-Esprit. Ce ne sont que masses d’armes, tabards, brocards, velours noir, vert et rouge et broderies en fil métallique doré et argenté (certaines “broderies”, cela dit, XIXe siècle et esprit d’économie obligent, sont en plaques de fer étamées et peintes) et on reste songeur devant cet art disparu qui réussissait à entasser tant de richesses sur si peu d’espace sans pour autant faire ressembler les dignitaires français à des potentats indiens.
L’exposition, pour notre plus grande joie, ne nous épargne rien, ni des travaux préparatoires, ni des commandes, ni des maisons qui relevèrent le défi (à peine quelques mois, avec un budget approximatif et des décisions tardives), ni des gravures et tableaux qui nous restituent aujourd’hui (à côté de saisissantes reconstitutions virtuelles) ce que virent les contemporains de Charles X, comme son entrée dans Reims, dans une voiture dorée (petit soleil mobile laissant au spectateur « un sentiment mêlé de respect, d’admiration et de joie »), tirée par huit chevaux emplumés, précédée et suivie par 179 chevaux. Chef-d’œuvre artistique et artisanal, le carrosse regorgeait de détails admirables comme « les quatre frettes [cercle métallique serrant le moyeu] en forme de tête de lion, entourées de feuilles de soleil, qui restent droite quand le roue tourne » pour que jamais le lion ne soit tête en bas. Les Rémois n’avaient jamais vu autant d’or rayonnant. Ivre de vanité, le maire de la ville, Irénée Ruinart, s’adressa au roi : « Sire, nous vous offrons nos vins, nos biscuits et nos cœurs » ; il avait demandé à tous les manufacturiers d’exposer leurs ouvrages au bout du boulingrin, et Charles X alla visiter ce bazar industriel et marchand (il y acheta une table en racine d’orme), légitimant en quelque sorte la double expression de la puissance française retrouvée : la munificence du sacre n’était pas qu’un cadeau fait au peuple, c’était aussi un message adressé à l’Europe. Hélas, les fruits n’ont pas passé la promesse des fleurs. Il ne reste que ces objets et ces costumes, bogues sèches et étincelantes.
Illustration : Fauteuil de trône, Louis- Alexandre Bellangé, 1825. Mobilier national, GMT 1294/2.