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Inventer le génocide

Pour définir ce qu’est un génocide, autant partir des écrits nazis. R. Lemkin, juriste polonais juif, consacra sa vie à cette tâche en collationnant tous les décrets du Reich, dans tous les pays où il gouvernait, qui réglait le sort des Juifs.

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Inventer le génocide

Ces « techniques allemandes d’occupation » forment ce que Lemkin appellera un génocide, terme qu’il crée en 44, « la mise en œuvre de différentes actions coordonnées qui visent à la destruction des fondements essentiels de groupes nationaux, en vue de leur anéantissement. » Ces fondements sont « leur culture, leur langue, leur conscience nationale, leur religion… ». Lemkin analyse le corpus nazi pour en montrer la spécificité, cette guerre menée par un État contre des civils en tant que groupe. Guerre de prédation menée en organisant la police, en réformant le droit et la finance, en changeant les règles de la propriété (détail “amusant” : dans les territoires baltes que les Allemands occupent après 1941, Hitler maintient en place les kolkhozes soviétiques, parfait instrument d’exploitation des paysans – avant que les Soviétiques revenus n’y pratiquent eux aussi le génocide)… C’est toute une administration très précise qui a été mise en œuvre, un délire de bureaucratie minutieuse très attachée à ne rien laisser subsister de ce qui doit être éradiqué. L’introduction nécessaire de Jean-Louis Panné nous restitue la figure ignorée de Lemkin et son combat pour que le génocide soit reconnu : les Britanniques n’aimaient pas le terme car il ne figure pas dans l’Oxford Dictionnary, Champetier de Ribes, le procureur général français, valide le terme, soulignant « qu’il a fallu accumuler les documents [ce que fit Lemkin des années durant] et les témoignages pour le croire possible. » Loin de se borner aux atrocités allemandes, Lemkin écrira une Histoire du génocide (inédite) remontant à l’antiquité. C’est à une véritable histoire comparative qu’il s’adonne, bien loin de considérer que le IIIe Reich est une exception mais décelant au contraire l’intention génocidaire partout où elle s’est manifestée, point aujourd’hui crucial : ce n’est pas parce que le terme apparaît au XXe siècle pour qualifier les crimes nazis que le concept et ses méthodes ne sont pas valides pour décrire des entreprises de destruction totale ailleurs dans le temps et l’espace. Le génocide de Lemkin est un concept ouvert, hélas et tant mieux.

 

Raphaël Lemkin, Qu’est-ce qu’un génocide ? Les Belles Lettres, 2025, 302 p ? 19 €

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