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Jean-Philippe Delsol : l’impôt est inégalitaire et inefficace

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Jean-Philippe Delsol : l’impôt est inégalitaire et inefficace

Avocat fiscaliste, auteur du livre A quoi servent les riches (JC Lattès, 16 euros), Jean-Philippe Delsol est un excellent connaisseur de la fiscalité française. Il pose les principes qui permettraient – ou permettront ! – de sortir de l’impasse actuelle.

Qu’est ce qui, pour vous, caractérise la fiscalité française depuis une cinquantaine d’années ?

Sa première caractéristique, c’est qu’elle court après des budgets en déséquilibre : depuis 1974, la France est en situation de déficit budgétaire avec une dette publique atteignant aujourd’hui 90% du PIB. Pour réduire cet endettement, les politiques alourdissent sans cesse l’impôt. Mais cela ne sert à rien car, au-delà d’un certain niveau d’imposition, l’impôt tue l’impôt. Comme le disait déjà le conseiller du roi Henri IV, Barthélémy de Laffemas : « Les hauts taux tuent les totaux ». Sa deuxième caractéristique tient à son taux de prélèvement obligatoire élevé, couplé à un taux de dépense publique représentant 56% du PIB. Ce taux de prélèvement obligatoire s’accroit de 1 point en moyenne par an.

Enfin, vu sur une plus longue durée, une des caractéristiques essentielles de la fiscalité française réside dans sa volonté de nivellement des situations par l’impôt. Cette idéologie égalitariste qui imprègne les politiques fiscales se traduit, par exemple, par un impôt sur le revenu plus élevé dans notre pays qu’ailleurs dans le monde. L’histoire de l’impôt en France est compliquée, voire traumatologique. Sous la Révolution, l’impôt progressif sur le revenu a atteint un taux tellement confiscatoire que la mémoire nationale l’a longtemps considéré comme un épouvantail. Du coup, l’impôt sur le revenu n’a été instauré qu’en 1914 quand il a été mis en place dès le xixe siècle en Angleterre ou aux états-Unis. Mais, en moins de dix ans, il a atteint en France des taux très importants, puis franchement exorbitants de 1936 à 1948. Même chose au cours des années 1982-1985.

Vous mettez en cause l’inégalité de l’impôt en France. Pourquoi ?

Parce qu’il est à la fois inégalitaire et inefficace : l’impôt sur le revenu frappe durement les hauts revenus, plus qu’ailleurs en Europe, mais son produit est l’un des plus faible d’Europe en pourcentage du PIB. En 2010, 10% des contribuables les plus aisés ont ainsi payé 74% de l’impôt net sur le revenu, et 1% des plus hauts revenus en ont payé 33%. On touche là le problème essentiel d’orientation des politiques fiscales. L’expérience montre en effet qu’un impôt très concentré a un rendement inférieur à un impôt généralisé car, quand l’impôt frappe à des taux très élevés, comme c’est le cas en France, se créent des niches fiscales de plus en plus nombreuses avec des contribuables qui se constituent en lobbies pour obtenir des remises, des crédits, des abattements…. Pas moins de 550 niches fiscales grèvent ainsi l’impôt en France pour un montant de 60 milliards d’euros, soit plus que le produit de l’impôt sur le revenu ! Et c’est sans parler des niches sociales : 41 milliards d’euros. En compensation des 35 heures, la puissance publique octroie aujourd’hui encore 22 milliards d’euros d’allègement de charges par an sur les bas salaires. Le sénateur Marini dit même qu’au total, les niches fiscales et sociales représentent 230 milliards d’euros par an, soit deux fois le produit de la TVA !

Et quid des 75% d’imposition sur les revenus au-delà du million d’euro ?

Même s’il est provisoire, c’est un repoussoir dans le contexte de la mondialisation. L’idéologie égalitariste française évoquée plus haut conduit à une atteinte à la propriété par l’érosion lente et inexorable des revenus et des patrimoines par la fiscalité. Malheureusement cet acharnement fiscal est déjà le fruit des deux ou trois dernières années de la présidence Sarkozy. La nouvelle majorité ne fait qu’amplifier, gravement, les mesures d’exaction dans une logique de nivellement par le bas.

Tout cela ne va pas sans conséquences économiques…

Les lois de finances s’appliquant sur l’année écoulée, elles sont toujours, ou presque, rétroactives. Ce n’est pas grave lorsqu’il ne s’agit que d’un ajustement marginal des taux ou des seuils. C’est totalement inique lorsqu’il s’agit d’une remise en question majeure des situations, comme c’était par exemple le cas dans le projet de loi de finances pour 2013 qui voulait faire passer l’impôt sur les plus-values sur valeurs mobilières de 34,5 à 64,5% sur des opérations déjà réalisées en 2012. Dans un état de droit, les citoyens doivent connaitre le droit, donc la fiscalité, applicable à leurs actes. Ce n’est pas le cas en France. D’où une incertitude pesante pour les chefs d’entreprise, les empêchant de mettre en œuvre des plans d’affaires précis et les obligeant à moduler leur action au fil de l’eau en fonction des évolutions du régime fiscal. Ce manque de stabilité n’est évidemment pas un atout économique et entrepreneurial.

Pour en sortir, sur quels principes fonderiez-vous une juste fiscalité ?

Je ne pense pas, comme les libertariens, que le meilleur impôt c’est qu’il n’y ait pas d’impôt. L’état et les collectivités ont un rôle à jouer, mais dans un cadre strict. L’autorité publique doit être recentrée sur ses fonctions régaliennes et moins préoccupée de missions économiques et sociales. Dans cet esprit, l’impôt doit être le plus neutre possible : ce n’est pas à lui de modifier le rapport entre les citoyens. La situation de chacun doit rester après le paiement de l’impôt inchangée autant que possible par rapport à ce qu’elle était avant son paiement.

Au surplus, il est important que tous payent l’impôt, même modestement. Aujourd’hui il y a une moitié des citoyens qui ne payent pas d’impôt sur le revenu et qui votent l’impôt que payera l’autre moitié. C’est injuste et anormal. L’impôt proportionnel, avec une dose de progressivité, est le meilleur outil pour mettre en place une fiscalité neutre, non idéologique. Tout le monde paye alors l’impôt, même avec des contributions faibles. Cela devrait être le souci d’une vraie démocratie, au sens de la participation de tous à la vie de la cité.

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