Les incohérences, voire les tensions, se multiplient entre L’Allemagne et les principaux représentants de l’Union européenne.
Dimanche, une fuite – volontaire ou non – était publiée par le grand hebdomadaire germanique Der Spiegel. Il y était question d’un projet discuté en catimini par les membres du directoire de la Banque centrale européenne : ces derniers envisageraient d’institutionnaliser les achats d’obligations émises par les gouvernements en difficulté. Si la banque centrale a déjà usé de son privilège de création monétaire pour acquérir des titres d’État, cela s’est toujours fait dans l’urgence et au cas par cas. Désormais, elle pourrait acheter systématiquement des obligations publiques à partir du moment où celles-ci dépasseraient un certain écart de taux d’intérêt avec le Bund allemand, la référence de la zone euro.
Les membres de la BCE trahiraient sans doute les statuts de l’institution, mais ils atteindraient leur but : freiner les ventes des institutionnels sur les dettes espagnoles ou italiennes, en leur assurant le soutien d’un acheteur au potentiel quasi illimité. Pour les vendeurs, la mesure ferait l’effet d’une épée de Damoclès. Elle devrait en outre favoriser une certaine stabilité des écarts de taux dans la zone euro, ce qui redonnerait du crédit à la monnaie unique.
Se faisant, la banque centrale étendrait considérablement l’interdépendance des dettes européennes en plaçant des montants gigantesques au sein de l’eurosystème. Les dettes des gouvernements italien, espagnol ou portugais, qui se « renationalisent » depuis plusieurs mois sous l’effet croisé des achats par les banques locales et des ventes effectuées par les banques étrangères, se « fédéraliseraient » de nouveau. Aux yeux des banquiers, cela donnerait une justification à la création d’un budget commun géré par un organisme d’Etat unique.
Réaction immédiate en Allemagne
Dès le lendemain de cette annonce, Berlin faisait comprendre qu’un tel projet lui semblait exclu. Contrevenant à l’habituel silence du gouvernement allemand au sujet de la politique monétaire, le porte-parole du ministère des finances jugeait l’intention prêtée à la BCE « très problématique d’un point de vue théorique », affirmant ne rien savoir de plus que les plans rapportés par Der Spiegel. Dans le même temps, le gouvernement prévenait qu’il ne fallait pas espérer d’annonces spectaculaires lors des réunions prévues en fin de semaine avec le président François Hollande et le premier ministre grec Antonis Samaras.
En outre, la Cour constitutionnelle allemande – dont le poids et l’indépendance sont sans commune mesure avec ceux du Conseil constitutionnel – doit se prononcer le 12 septembre sur la compatibilité du « Mécanisme européen de stabilité » (MES), un fonds fédéral qui échapperait en partie au contrôle des États.
Si des tensions sur la politique monétaire étaient déjà apparues il y a deux ans, les inadéquations entre les volontés allemandes et celles des fédéralistes européens apparaissent chaque jour plus évidentes. Les premiers cherchent à préserver l’euro, tout en évitant de perdre leur souveraineté acquise il y a vingt ans. Certes, la monnaie unique leur a permis de s’implanter sur les marchés des différents pays de la zone euro (détruisant en partie les industries grecques ou espagnoles), et les allemands craignent les pertes financières qu’occasionneraient les sorties de plusieurs gouvernements de la devise (avec ses inévitables dévaluations) ; mais ils ne veulent pour autant abandonner le contrôle de la construction européenne.
Face à eux, des fédéralistes n’envisagent l’avenir que sous un Etat indivisible pour tout le continent, et poussent de tout leur poids pour la constitution d’un budget unique. Ces derniers mois, toutes les propositions de la Commission européenne, de la Banque centrale et, désormais, des très mondialistes présidents italien et français allaient dans ce sens.
Le bras de fer se poursuit. Pour combien de temps ?