Travaillant à l’école des hautes études en sciences sociales sous la direction de Jacques Sapir, Jean-Baptiste Bersac est l’auteur d’un remarqué Devises, l’irrésistible ascension de la monnaie (ILV éditions). Il décrypte le fonctionnement de la monnaie et ouvre des pistes pour sortir de la crise financière actuelle.
D’où provient la monnaie que nous utilisons ?
Ultimement et de toutes les façons, la devise vient de la banque centrale. Elle finance tout. Et ces banques centrales sont des créations étatiques. Elles sont un institut d’émission de la devise légale. Cette devise est la seule monnaie acceptée en paiement au Trésor de son état. C’est pour cela que la plupart des personnes sur un territoire ont « confiance » en la valeur de leur monnaie : elle est indispensable au paiement des impôts, eux-mêmes obligatoires.
Dans votre livre, vous fustigez l’idéologie libérale, responsable selon vous de la crise. Pourquoi ?
L’idéologie libérale dénie à l’état la capacité de créer lui-même sa devise, bien que ce soit lui qui ait imposé ladite monnaie. Ce déni s’est renforcé en France depuis 1973, l’état ne pouvant plus se financer directement auprès de sa banque centrale. à la place, on fait tout passer par les banques commerciales qui représentent des intérêts privés. L’idéologie sous-jacente était que les marchés s’autoréguleraient et financeraient tout le monde, notamment par le crédit. Mais le crédit n’est jamais qu’un moyen de différer le paiement, c’est une promesse de payer en devise et non un moyen de paiement immédiat et définitif comme les billets ou les pièces. Voilà l’origine de l’actuelle bulle de l’endettement dans le monde occidental.
Il faudrait donc laisser l’état créer de nouveau sa devise ?
Oui, car il ne peut en être autrement ! Le déficit public est le seul moyen aujourd’hui de fournir de l’épargne en devise à l’économie, et l’État émet cette devise souverainement. Ceux qui profitent de la monnaie unique européenne pour se financer par leurs exportations se gardent bien de se demander comment ceux qui importent leurs produits se financent ; et ce parce que les pays importateurs se financent par le déficit public ! Les banquiers allemands ont bien essayé de prêter aux Grecs et ainsi de rapprocher le solde extérieur de l’équilibre, mais depuis la crise ils demandent le remboursement, et il ne reste à la Grèce que le déficit public pour les payer. En essayant de le leur interdire, la monnaie manque dans le pays et on déstabilise tout le tissu économique, y compris le crédit privé qui s’effondre. D’où la perte d’un quart du PIB grec.
N’existe-t-il pas une limite financière, écologique ou morale aux déficits publics ?
Sans doute, mais il n’en existe pas au sens financier et technique, on le voit bien aujourd’hui avec des dettes publiques qui explosent partout dans le monde. En effet, la banque centrale a historiquement toujours préféré même une hyperinflation à un arrêt du fonctionnement de son état créateur. L’état est le gestionnaire de sa monnaie, qu’on l’accepte ou non. Bien sûr, il vaut mieux qu’il la gère bien, sans inflation.