Civilisation
Maurras, l’immortel
C’est un mémorial. Non pas l’histoire d’une vie, encore que beaucoup en soit dit ; plutôt le récit d’un itinéraire intellectuel. Et pas n’importe lequel.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
La politesse et la politique entretiennent des rapports étroits.
Côté pile, tous les totalitarismes détestent une politesse qui distingue, qui nie l’égalité, qui souligne la différence, qui refuse l’uniformité. Côté face, la politesse apparaît comme une nécessité naturelle pour régler les rapports humains, les codifier, amoindrir la distance sans pour autant la nier. Elle a la force de la coutume, qui souvent précède la loi. Vaste sujet ! Frédéric Rouvillois, qui revient inlassablement à ce thème, en donne aujourd’hui la réflexion la plus philosophique : parce que la politesse est une norme, elle est politique ; parce que la politique vise le bien commun, elle doit s’intéresser à la politesse. Affabilité, courtoisie, bienséance, galanterie, savoir-vivre, salamalec, on sent bien que toute société distille et diffuse un savoir-être, un vivre-ensemble qui tisse nos jours bien plus que les institutions politiques – et que ces institutions elles-mêmes, quand elles ne garantissent plus la tranquillité de ceux qui se sont rangés sous leurs lois, déchirent ce tissu de civilité/civilisation. La grossièreté du langage est celle des mœurs, la violence déréglée des comportements est celle d’un État qui ne protège plus l’essentiel. Le barbare détruit et éructe d’un même mouvement, et les commentateurs le souligne involontairement en appelant « incivilité » des tentatives de meurtres. Évidemment, la thèse est soutenue par une érudition sans faille et une agilité d’esprit qui permet de sauter d’un ironique traité de politesse allemand à une citation de Talleyrand avant d’enchaîner sur le découpage du sanglier à table et l’analyse des grossièretés calculées des politiques et leur polirudesse (sic) publique, l’affectation de politesse servant surtout à énerver l’adversaire. Bien sûr, l’auteur examine les différentes politesses nationales. Il relève aussi, et c’est profond, à quel point politesse et démocratie font à la fois bon et mauvais ménage, avec ce point particulier de la grossièreté insensée des débats sous la IIIe République (quand Léon Daudet, alors député, traitait ses adversaires d’excréments à pattes), quand le Parlement dirigeait, et de la politesse scrupuleuse que Renaissance veut faire régner à la Chambre, sous la Ve, alors que Macron piétine le Parlement. On sent, à lire l’ouvrage et à suivre ses fines analyses, que l’auteur tient les deux bouts d’une chaîne sociale vraie qui réunit la « civilité puérile et honnête » et les plus hautes institutions.