Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Vous êtes dans votre fauteuil préféré et vous avez la chance de contempler par la fenêtre ouverte en cette douce arrière-saison le frémissement mystique d’un arbre caressé par une brise légère ; vous vous laissez porter par l’adagio de votre concerto préféré ; vos soucis et vos chagrins vous accordent un exquis moment de trêve ; vous n’êtes pas au paradis, mais pour un peu, vous vous demanderiez si la part qui vous en revient n’y ressemble pas…
Quand tout à coup, le téléphone vous tire impérieusement de ce bain onirique et placentaire : « Allô bojeur ? Bojeur mossieu, ravie de vos avor en ligne, je suis Mélanie du gropment des pôpées de France, et je vôdrais savoir sais vos êtes proprétaire de votre apportemont… ». Cela fait quinze fois au moins en trois jours, vingt-trois fois en huit jours, cent sept fois en un mois que l’on vous sollicite de la sorte, avec le même accent, ânonné dans un brouhaha de poulailler pour vous vendre pompe à chaleur, panneaux photovoltaïques ou aspirateur au biture de zitron. Vous êtes excédé car vous avez beau répondre de moins en moins calmement que vous n’êtes pas intéressé, les Mélanie, les Maximin, les Julia, le Roger et autres Nadia (les prénoms à consonance musulmane sont évités, curieusement) reviennent inlassablement à la charge, de préférence en fin de matinée, en début d’après-midi ou encore à l’heure de fermeture des bureaux.
Il est quasiment impossible de s’en débarrasser, car ils vous appellent de plateformes différentes et opèrent avec des listes de noms et de coordonnées téléphoniques sans autres références ; ce sont donc de parfaits lampistes. Vous savez qu’on ne tire pas sur le lampiste, ce n’est pas bien ; mais, mais… à la fin vous craquez !
Pour vous éviter de devenir enragé par ce harcèlement aveugle, je vous propose plusieurs échappatoires ; la plus simple est évidemment de se taire et de raccrocher au nez de l’importun ; mais peut-être faites-vous partie de ceux qui ne peuvent s’empêcher de rire un peu aux dépens des fâcheux obstinés ; alors, un très grand choix vous est ouvert ; il y a les cris d’animaux, qui vous permettent d’imaginer la tête de Mélanie entendant coin-coin, ouah-ouah, gron-gron pour toute réponse ; si vous êtes sentimental, et que vous avez Julia au bout du fil, lancez-vous dans une déclaration d’amour passionnée, d’une sensualité débridée ou raffinée, au choix ; vous serez surpris de constater qu’elle ne raccrochera pas forcément tout de suite ; un de mes amis, ancien militaire, est plus gaillard ; à l’inévitable question « êtes-vous propriétaire ? », il répond : « Madame, vous la saurez, mais à trois conditions : je veux savoir votre tour de poitrine, votre tour de taille et votre tour de fesses ». À ce jour, il n’a pas eu de réponse. Vous pouvez aussi prétendre au vendeur de panneaux solaires que vous habitez dans une cave ou dans une yourte en feutre du côté d’Oulan-Bator. Vous pouvez encore hurler que vous êtes très mécontent parce que votre pompe à chaleur pompe en réalité des rats et du froid… Enfin, il est possible de jouer la carte macabre en déclarant être mort et parler du fond de l’Enfer, et donc n’avoir rien à faire des boniments de Roger… Je n’ai aucune inquiétude, ami lecteur, quant à l’étendue et la variété de votre imagination. Vous me direz que ce divertissement est absurde et ne fait qu’en rajouter à ce monde pétri d’absurdité ; mais au moins celui-ci sera de votre cru !
Illustration : Une opératrice téléphonique tente de forcer un barrage antipublicitaire malgré les agents de la DGCCRF.