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EDF et la crise de l’énergie

Le prix de l’énergie s’envole et, une fois de plus, c’est tout ce quinquennat qui peut être remis en perspective : rien n’a été fait, au contraire, pour éviter les difficultés présentes. Entre une Union européenne rigide et un État actionnaire inconséquent, les Français vont être dépouillés de leur souveraineté énergétique.

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EDF et la crise de l’énergie

Depuis le début de l’année, l’inquiétude s’est fortement accrue dans le domaine de l’accès à l’énergie : explosion du prix du gaz sur les marchés internationaux, record du prix du carburant à la pompe et, maintenant, augmentation annoncée du prix de l’électricité. Certains observateurs ont émis l’hypothèse que ces difficultés seraient passagères, résultant essentiellement de la reprise économique consécutive à la sortie de la pandémie de Covid. Ce ne serait donc qu’un phénomène accidentel, précédant de peu un retour à la vie normale, à la fin d’une crise sanitaire gérée au mieux, « quoi qu’il en coûte » ! Toutefois, une analyse moins superficielle conduit à évoquer aussi des causes structurelles non négligeables.

Les signes avant-coureurs de la crise

En fait, il n’a pas été nécessaire d’attendre le début de l’année 2022 pour se poser des questions sur la pérennité du système actuel d’électricité abondante et à bon marché. Le 21 octobre 2021, un premier coup de tonnerre a secoué l’ensemble du secteur lorsque le Tribunal de commerce de Toulon a déclaré en redressement judiciaire la société Hydroption qui fournissait l’électricité tant à la mairie de Paris qu’au ministère des Armées. Cette société de distribution – mais qui ne produisait aucune énergie – avait en effet remporté ces appels d’offres avec un prix imbattable obtenu en négligeant de se couvrir à terme contre les fluctuations des coûts de production alors qu’elle se fournissait essentiellement sur le « marché libre » où le droit européen de la concurrence conduit à aligner le prix d’acquisition sur le coût marginal de production. Tant pour l’État que pour la mairie de Paris, il a fallu changer de fournisseur et revoir les prix à la hausse. Or cette société, qui se trouva fort dépourvue lorsque la hausse fut venue, n’est pas la seule à avoir été concernée : Bulb Energy est insolvable, Barry Energy et E.Leclerc Energies ont suspendu leurs activités en France, etc. L’État s’est empressé de nommer EDF « fournisseur de secours » en attendant que les activités de ces diverses entreprises ne soient reprises et que les repreneurs négocient avec leurs clients de nouveaux tarifs.

Un deuxième coup de semonce est arrivé lorsqu’Enedis – la société chargée d’acheminer l’électricité – a lancé publiquement une alerte sur l’état du marché annonçant que, si les conditions hivernales étaient difficiles, il faudrait envisager des délestages pour éviter l’effondrement du réseau. 

Les causes de la crise

Jusqu’à présent, même s’il y avait eu des tensions sur le réseau électrique, aucune n’avait atteint ce niveau de gravité. La France continuait à avoir l’électricité la moins chère d’Europe et à garantir à ses citoyens un approvisionnement sûr. Ce double avantage résultait de la part importante de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité (plus de 70 % en 2019). Au-delà de la garantie du prix, la production n’était soumise ni aux aléas climatiques (comme pour l’éolien ou le solaire) ni à la variation du coût des énergies primaires (gaz, pétrole ou charbon). Mais deux événements ont mis à mal cet équilibre économique. 

Le premier est la fin du monopole de distribution de l’électricité imposé par l’Union européenne dans le cadre de sa politique de libre concurrence. Comme on peut le lire dans la lettre Géopolitique de l’électricité du 29 décembre 2021, « en favorisant la multiplication des compagnies d’électricité sans centrales, via le dispositif Arenh, les pouvoirs publics français ont réalisé une version « électricité » de la théorie mortifère de l’industrie sans usine ». 

Désormais, si EDF continue à être le fournisseur principal d’électricité grâce à ses centrales nucléaires, elle doit permettre à n’importe quel « fournisseur » d’intervenir sur le marché de détail. Afin de permettre à ces sociétés concurrentes qui ne produisent pas d’électricité d’être compétitives, un mécanisme appelé « Accès régulé à l’électricité nucléaire historique » ou Arenh, a été mis en place en 2010 et doit durer jusqu’en 2025, obligeant EDF à leur vendre chaque année environ un tiers (1) de son électricité nucléaire au prix de 42 € le Mwh. Il en résulte que si les prix s’envolent sur le « marché libre », ses concurrents s’approvisionnent exclusivement auprès d’EDF alors que s’ils s’effondrent ils se fournissent uniquement sur ce « marché libre ». Si la demande adressée par ses propres clients finaux à EDF augmente au point de dépasser sa capacité de production, comme ceux-ci passent après la fourniture d’électricité imposée à ses concurrents directs, elle doit aller chercher le complément sur le « marché libre » européen où le tarif dépassait les 250 euros le Mwh au début de l’année.

Le second est l’état du parc des centrales nucléaires. Pour afficher un tarif de production le plus faible possible, l’amortissement du coût des installations est calculé au plus juste. Si l’on en croit la Cour des Comptes, un amortissement économique normal (c’est-à-dire sur la durée de vie prévisionnelle des équipements) aurait dû conduire en 2019 à un prix de revient minimal de 64,8 € le Mwh (2). Par ailleurs, compte tenu de la pression des « verts » qui considèrent que la France, à l’instar de l’Allemagne, doit sortir du nucléaire au plus tôt, l’entretien des centrales a été réduit au minimum. Comme pour autant, il n’est pas question de sacrifier la sécurité, il a fallu arrêter en 2021, dix réacteurs sur cinquante-six. Cela a permis de détecter une usure plus importante que prévue sur certains aciers, laquelle imposera de contrôler dans les années immédiatement à venir l’état de plus de vingt autres réacteurs. Résultat, en 2022, la production d’électricité nucléaire en France devrait diminuer de près de 20 %, ce qui est considérable et qui devra être compensé par l’acquisition d’électricité sur le « marché libre ». Or, ce « marché libre » n’est pas près d’enregistrer des prix en baisse du fait, d’un côté, de la chute de l’offre de pétrole et de gaz, faute d’investissements antérieurs dans l’exploration et le développement de nouveaux gisements et, de l’autre, d’une augmentation considérable de la demande d’électricité, notamment en provenance de Chine.

Le traitement de la crise

L’équilibre économique d’EDF aurait dû conduire à une augmentation rapide et importante du tarif imposé aux clients. Comme le prix facturé au client final – le Tarif réglementé des ventes d’électricité, ou TRVE – dépend des pouvoirs publics, il est apparu difficile de lui faire suivre immédiatement la hausse des cours. Le gouvernement a donc mis en place un « bouclier tarifaire » qui limite l’augmentation des prix à 4 % jusqu’au 30 juin 2022, alors que l’application des textes législatifs et réglementaires auraient dû conduire à une augmentation de 44,5 %. En contrepartie, il a décidé de baisser les taxes sur la consommation d’électricité, « au plus bas de ce qui est possible au titre des règles européennes » comme l’a déclaré Bruno Le Maire sur LCI. Mais cette baisse (qui ne fera qu’accroître le déficit de l’État et donc la dette que devront supporter ultérieurement les contribuables) ne couvre que « jusqu’à 16 ou 17 % d’augmentation du prix de l’électricité [alors qu’] on attend une hausse de l’ordre de 38 à 40 % ».

Observant cette façon de régler la question, l’agence de notation Fitch a aussitôt dégradé la note d’EDF (de A- à BBB+) ce qui aura automatiquement comme conséquence d’augmenter le taux d’intérêt auquel EDF aura à faire face pour emprunter l’argent dont elle aura besoin pour maintenir sa qualité, ou simplement faire rouler sa dette, c’est-à-dire renouveler les emprunts échus qu’elle n’a pas encore pu rembourser.

Afin d’habiller ces mesures pour les présenter au mieux à la Commission européenne qui doit les approuver, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a envisagé de « modifier la manière dont elle calcule le tarif », en changeant la période de référence. Il résulte de l’ensemble des mesures décidées par le Gouvernement un manque à gagner largement supérieur au « coût de l’EPR de Flamanville souvent présenté comme un scandale national ». 

Mais tout cela ne suffira pas. Faudra-t-il continuer à remettre en activité des centrales à charbon (Bruxelles a autorisé la France à en réactiver deux en 2022) ou chercher à prolonger la durée de vie des centrales nucléaires ? C’est ce que devra décider le gouvernement qui sortira des urnes au printemps prochain et qui, en tout état de cause, ne pourra pas se passer d’une augmentation sensible du prix de l’électricité, comme l’a rappelé le président de la CRE : « Une fois la fiscalité réduite et les volumes d’Arenh mis à disposition, la CRE évaluera l’éventuel rattrapage à réaliser en 2023 sur les TRVE, dont le niveau dépendra des prix de marché en 2022 et des éventuelles mesures qui seront prises ». 

 

Illustration : Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, heureuse d’annoncer le 13 janvier que l’État met en péril la principale société énergétique française.

 

1. Portés à 40 % par décision du gouvernement début janvier. « Je trouve que c’est normal qu’on demande cela à EDF, parce que c’est de l’argent de centrales nucléaires qui sont amorties », a déclaré Barbara Pompili le 19 janvier sur Sud Radio.

2. Rapport S2021-2052, présenté le 13 décembre 2021 relatif à « l’analyse des coûts du système de production électrique en France ».

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