Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Veille : nous ne sommes pas toujours en état de veille, car il faut bien dormir parfois.
Nous ne sommes pas non plus tous les jours à la vigile d’un événement important, ou d’une fête. Le mot latin vigilia est à l’origine d’une jolie famille où l’on rencontre l’attentif veiller, le dynamique veilleur, le douloureux réveil, sans lequel ne peut exister la vigilance, ne peuvent travailler veilleurs et vigiles, la petite lampe veilleuse, la veillotte, surnom du colchique parce qu’il fleurit à la saison des veillées de l’automne et résiste aux nuits froides. N’oublions pas les cousins surveillant de nos préaux, salles d’étude et d’examen, l’impitoyable réveille-matin, le moine réveilleur pour les offices de nuit, le joyeux et gastronomique réveillon enfin.
Cette famille de mots et de sens nous rappelle que nous autres humains vivons perpétuellement coincés entre un passé certes révolu mais qui hante nos veilles nocturnes, et un avenir incertain qui nous rapproche inexorablement de la veille du jour « j ». Au milieu, voici l’instant présent, fragile passerelle surchargée de soucis pour les uns, légère comme une bulle de savon pour d’autres, peut-être les plus sages.
Que nous le voulions ou non, nous sommes donc soumis au temps, et nos évasions par le rêve, la musique, la contemplation, ne sont au mieux qu’éphémères, si elles ne sont illusion.
Seul le présent nous appartient, nous dit-on : mais nous avons beau exercer la plus haute vigilance, l’instant présent s’enfuit comme une eau fugace, « comme le rêve d’une ombre », ne nous laissant que le gage du souvenir.
À la suite d’un événement majeur qui nous a surpris et bouleversé, le jour qui le précède, sa veille, donc, apparaît dans notre souvenir comme invraisemblable, irréelle : comment ai-je pu vivre sans me douter… ?
Par contre, à la veille d’un événement attendu et programmé qui engage lourdement l’avenir comme une grande élection par exemple, nous sommes inquiets, déjà fatalistes parfois : le résultat est acquis, rien ne peut le modifier, il est déjà écrit !
Tout cela peut aussi nous rappeler la veillée d’armes du chevalier agenouillé en une chapelle, et qui précédait l’adoubement, la remise des éperons et surtout l’engagement à vie ; on peut regarder cela comme passéiste et poussiéreux, on peut aussi trouver salutaire d’en garder l’esprit.
Aujourd’hui en revanche, plus que jamais d’actualité, la vigile pascale, est attente d’une célébration, d’une fête faisant mémoire, qui relie le passé au présent, tout en se nourrissant d’espérance ; une manière spirituelle d’alléger le fardeau, d’adoucir le joug ?
Puisque le temps présent nous appartient, rêvons un peu : imaginons qu’il soit en notre pouvoir de saisir entre nos mains ce présent si désespérément fuyant, de le maîtriser de telle sorte que le passé dont il est le fils et l’avenir dont il est le père ne fassent plus qu’un avec lui ? Imaginons par exemple que le jour de nos noces, la naissance de nos enfants, les joies d’aujourd’hui et le bonheur éternel attendu ne fassent plus qu’un ? Que nous vivions un présent dilaté à l’infini sans altération ni vieillissement ?…
Retour sur terre, réveillons-nous, c’est impossible, cela ressemble de beaucoup trop près à l’éternité : nous n’y sommes pas, pas encore ; mais peut-être demain en est-il la veille ?