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Quatre professeurs

Passé le quinze août, s’amorce le déclin de l’été, et l’on commence à penser à la rentrée des classes ; cela ne laisse pas de teinter les plaisirs des vacances d’une vague mélancolie.

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Quatre professeurs

La dure lumière du plein été fait doucement place à des brumes fraîches, et les marronniers roussissent les premiers, tandis que les tilleuls dispersent au vent leurs fruits à hélices ; les après-midis peuvent être encore bien chauds, mais la nuit tombe plus tôt, avec le serein. Les plus anciens se souviennent des rentrées d’autrefois, et quelques figures de maîtres surgissent ici et là du fond de leur mémoire… C’est ainsi que j’évoquerai la figure d’un professeur de grec, dont j’ai oublié le nom, et que nous surnommions Κοραξ (Korax, corbeau), sans doute pour associer sa voix croassante à l’un des modèles de déclinaison de notre grammaire Allard et Feuillâtre.

La cinquantaine distinguée, toujours très chic avec son nœud papillon, une belle chevelure blanchissante aux tempes, son sourire révélait une denture aurifiée du meilleur effet ; bref, il nous impressionnait ; malheureusement, cette impression était quelque peu gâchée par les effets redoutés d’une haleine de cloaca maxima aggravée par une averse drue de postillons tièdes ; à son approche, nous songions donc plutôt à nous abriter qu’à lui accorder l’attention qui lui était due…

Je me souviens aussi de son collègue, professeur de mathématiques ; il était très petit, étriqué dans son éternel complet gris, sec et il piquait des colères qui se traduisaient par des imprécations trépignantes, et parfois de vigoureux soufflets. On racontait qu’un jour de rentrée, lors de son premier cours, avant même d’autoriser les élèves à s’asseoir, il s’était juché sur un tabouret pour déclarer en roulant des yeux féroces : « je suis Chichimec, le roi des Patagons ! Le premier qui m’appellera comme ça aura affaire à moi ». Entre nous, nous l’appelions Chichi, tout simplement.

 

Quelque temps auparavant, comme j’étais affligé d’une apparemment incurable rétivité à la discipline arithmétique, mes parents me confièrent aux soins d’une institutrice expérimentée, honorable vieille fille prolongée, Mademoiselle Bauwen. C’était une personne d’aspect redoutable, avec sa stature massive, ses lunettes fumées, de grosses lèvres qui cachaient à peine un fouillis de dents pointues, mélangées d’une manière étrange ; elle parlait pourtant d’ordinaire d’une voix très douce, proche d’un gazouillis de mésange ; malheureusement, mon abyssale incapacité à élucider les mystères des horaires de trains poussifs et des baignoires qui ne se remplissent jamais transformait cette douceur en un orage grondant qui anéantissait pour la journée mes velléités d’initiation à la science exacte.

Je terminerai cette modeste galerie de portraits par l’ineffable Monsieur Diéval, professeur de mathématiques, à qui incomba l’impossible mission de m’inculquer les rudiments du raisonnement scientifique. Maigre, poil noir et teint terreux, il dardait sur son prochain ses petits yeux en œillets de bottines et parlait d’une voix rêche et impérieuse. Brave homme au demeurant, il m’accueillait dans son logis lors de nos leçons ; je revois une pièce sombre, où blafardisaient faiblement les housses de trois fauteuils, et je hume encore des relents mélangés de vieux saucisson et de cimetière de mites… Las, la bonne volonté et la sollicitude de Monsieur Diéval échouèrent là où Mademoiselle Bauwen avait en vain tempêté… Et je poursuivis plus cahin que caha le cours de mes études collégiennes et lycéennes.

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