Prendre un sujet flexible, au départ à peu près inculte, lui instiller quelques petites choses, de telle sorte qu’au sortir de la pépinière, il sache peu de chose, mais que ce peu de chose, il le clame péremptoirement avec une fierté de jeune rhododendron tout juste fleuri. Le tuteurer de manière à ce qu’il ait un avis sur tout, avis parfaitement conforme, tel qu’il lui aura été infusé par les puissances occultes sous forme d’engrais.
Lors du tuteurage et de l’engraissement, lui apprendre à remplacer les mots trop brefs par des mots plus longs, comme privatif pour privé, dangerosité pour danger, distanciel ou distanciation pour distance, méthodologie pour méthode, etc., etc. Plus c’est long, plus c’est bon. Lui apprendre encore quelques mots d’anglais et de préférence d’anglais informatique pour remplacer d’affreux mots français desséchants. Lui enseigner d’ailleurs quelques fautes de français ou l’encourager avec une main verte et caressante à y persévérer. Lui dire de courir après les expressions toutes faites, les clichés à faire pâmer les bobos, les idées branchées et de cracher des sèves vénéneuses sur les penseurs originaux.
S’il passe de la presse écrite à la télévision, ce qui rend le journaliste beaucoup plus beau, que d’abord il n’oublie pas sur le tas de compost les sucs nutritifs durement obtenus. Le mot long, la faute de français, la pensée commune feront toujours sa force. Puis, comme on vient de le dire, il lui faudra accéder à de nouvelles beautés. Il lui faudra apprendre à bien tenir un sécateur et à couper la parole à ses invités, surtout à ceux qui ont la disgrâce d’être mal pensants. Il faudra qu’il devienne teigneux, que ses fleurs se referment, que ses sourires s’effacent, sauf le sourire de la fleur carnivore adressé justement aux mal pensants, pollueurs de la sphère intellectuelle. Il s’érigera alors (s’ériger est le mot, il aura bien grandi, il aura atteint sa taille définitive et superbe), reprenons : il s’érigera en juge sévère, impitoyable, inexorable, lugubre ; il condamnera, il foudroiera du haut de son audimat le pauvre ilote qui s’est égaré dans les studios et qui a tenté de balbutier quelques mots. Il sera devenu un très beau rhododendron.