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L’exil de Gratien

À dix-neuf ans, Gratien était devenu un grand diable un peu « chat maigre », plutôt rêveur et très rétif aux examens ; ses deux échecs retentissants au baccalauréat semblaient bien l’exclure de tout parcours académique et la perspective de se mêler d’apprendre un métier lui procurait, suivant les jours, indifférence ou ennui.

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L’exil de Gratien

En revanche, il avait découvert quelques années auparavant les multiples séductions de la poésie, et il s’était mis à crayonner des œuvres assez irrégulières, dont la qualité n’égalait pas forcément la sincérité, mais qui avaient fortement empiété sur le temps ordinairement consacré aux mathématiques, sciences physiques, géographie et autres joyeusetés scolaires. Non qu’il fût mauvais partout, mais la recherche des « bonnes notes » l’ennuyait trop, et ses résultats s’en ressentaient irrémédiablement.

Tout cela, évidemment, inquiétait beaucoup ses parents : qu’allait-on faire de ce grand gars, à la fois affectueux et renfermé, vigoureux mais indolent, et si bizarrement calamiteux dans la vie pratique ? À force de réfléchir, ils eurent une idée. Ils se dirent qu’ils étaient responsables, qu’ils l’avaient trop protégé, qu’après tout, c’était un enfant gâté ! Ils décidèrent alors de l’envoyer au nord de l’Ecosse dans une ferme isolée au milieu des Highlands. « Cela lui donnera un peu de sens pratique et de plomb dans la cervelle », se dirent-ils.

Gratien, en bon garçon qu’il était, se dit qu’il avait donné assez de soucis à sa famille, et accepta de bon cœur.

Il prit à Londres vers huit heures du soir un autocar pour Glasgow ; on était en juin, l’air était doux dans le soleil couchant ; il mit très longtemps à se coucher puisque le voyage plein nord poursuivait en quelque sorte le crépuscule. À Glasgow, train jusqu’à une petite ville au nord du Loch Ness, où l’attendait le captain (en retraite) Nigel Grey, propriétaire de la ferme. La quarantaine robuste, le visage avenant sous une abondante chevelure bouclée, mais bizarrement muet, il fit signe à Gratien d’embarquer dans une camionnette délabrée garée là ; ils roulèrent en silence une bonne heure sur une route étroite et sinueuse, jalonnée d’aires de la dimension d’un véhicule pour permettre les croisements. Le paysage s’élargissait, de hautes collines pelées déployaient leurs crêtes ondulées ; ils longeaient des lacs, des étangs, et des prés pentus où paissaient des moutons noirs et des bovidés à crinières hirsutes.

Tout à coup, le captain Grey arrêta la camionnette, la rangea sous un buisson et fit signe à son passager de descendre avec son bagage. Toujours sans mot dire, il s’engagea dans un sentier qui descendait en pente raide à travers un bois. Au bout d’une centaine de mètres, on distinguait le scintillement de l’eau ; ils débouchèrent sur un petit débarcadère, où se balançait une barque. Le captain fit signe à Gratien d’y monter, s’installa sur le banc de nage et empoigna vigoureusement les avirons ; le temps s’était mis au gris, et le vent agitait un peu l’eau et la barque. Assez vite, Gratien repéra sur l’autre rive, sur un plateau étroit au pied d’une colline, trois bâtiments bas disposés autour d’une cour où deux chiens à poils longs s’agitaient à l’approche de l’équipage.

Au débarqué, il fut accueilli aimablement par Pamela, la gracieuse épouse du captain, une de ses parentes, Jessica, et Donald, le valet. Il y avait à la ferme, outre quelques « hôtes payants », férus de grand air un peu sauvage, une petite basse-cour, des moutons et des chevaux. Le pays alentour, accidenté et pauvre, s’ouvrait au-delà des prairies, sur des collines marécageuses appelées bogs. La végétation était courte, rude, souvent épineuse, et alternait avec des coulées d’herbe verte parsemée de fleurs aux teinte douces…

 


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