Dans un État de droit comme la France, le gouvernement dispose de l’emploi de la force pour le maintien et le rétablissement de l’ordre public, qui se conçoivent à deux niveaux : on distingue les forces de police et de gendarmerie, à titre normal, d’une part, et les forces armées, à titre exceptionnel, d’autre part.
Les premières agissent ès qualités sur le territoire national, et dans certaines conditions sur des théâtres d’opérations extérieures : en particulier pour l’encadrement et la sécurité des manifestations, elles interviennent dans le cadre strict du respect de la loi, du droit de propriété et des libertés publiques, selon les textes en vigueur et les missions particulières qui peuvent leur être confiées ; ces forces ne sont censées faire usage de leurs armes que sur ordre exprès du premier ministre ou du préfet de zone de défense, et après avoir fait les sommations réglementaires, sauf en cas de légitime défense.
Les secondes ont pour mission essentielle la défense de la nation, la sécurité extérieure, et les intérêts vitaux (dissuasion) : elles aussi obéissent à certaines règles, en particulier lorsqu’elles agissent sous l’égide de l’ONU ou de l’OTAN (règles d’ouverture du feu), et elles sont tenues de respecter les lois et coutumes de la guerre (respect des populations civiles, traitement des prisonniers etc…)
Cependant, la guerre est un phénomène qui se situe toujours peu ou prou en marge des règles, à cause des aléas de l’escalade de la violence dans l’affrontement d’un ennemi par définition imprévisible, et des enjeux, qu’ils concernent la sécurité nationale, ou celle du pays au profit duquel les forces armées interviennent, dans le cadre d’accords de défense par exemple, au Tchad, en Côte d’Ivoire, etc…
Sur le territoire national, la situation peut devenir suffisamment sérieuse pour mettre en péril la sécurité du pays et donc nécessiter l’emploi des forces armées. Il appartient au gouvernement de ne prendre cette décision que lorsque tous les autres moyens légaux s’avèrent insuffisants, car il s’agit d’un signal extrême, et il n’y a pas de troisième canon au fusil ! Ajoutons que lorsque des militaires interviennent ès qualités, à moins de leur donner une mission de type « police », ce qui est une dérive regrettable, il n’y a pas de sommations, et les tirs sont directs… Lors des troubles de 1968, le gouvernement s’est bien gardé d’envoyer l’armée contre les manifestants : des régiments ont été déplacés, mais seulement en vue d’exécuter des missions défensives de protection des points sensibles stratégiques, car l’emploi direct de militaires en « maintien ou rétablissement de l’ordre » est un signe de guerre civile !
La décision de mise sur pied d’un contingent militaire de 10 000 hommes à la suite des récents attentats se situe donc à l’extrême limite de l’emploi dit « normal » des forces armées, compte tenu du caractère défensif des missions qui leurs sont confiées, pour l’instant ! C’est aussi un aveu d’impuissance du gouvernement, aggravé par la situation de notre armée, très affaiblie par les déflations successives de ses effectifs imposées par les budgets votés depuis de longues années. La situation est telle en effet, que l’emploi de ces 10 000 hommes ne peut s’effectuer de manière efficace que pendant une durée limitée, avec peu, ou pas de possibilité de relève et avec l’obligation de remettre en question au moins en partie des missions qu’elle seule peut accomplir, en OPEX, à l’entraînement, en présence outre-mer…
Montrer sa force pour ne pas avoir à s’en servir ; en bonne stratégie politique, il s’agit d’abord d’une gesticulation, d’un langage : encore faut-il le maîtriser et en avoir les moyens !