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Léa

Nous l’avons tout de suite adoptée, Léa ; sa venue chez nous répondait à notre annonce dans le Chat Hebdo ; nous souhaitions que notre fille prenne des cours d’orgamon, cet instrument électronique ultramoderne à touches et à jeux multiples, et bénéficie d’une aide au travail scolaire.

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Léa

Elle arriva un matin, toute douce et gracieuse avec un joli sourire ; elle plut à Mona, qui avec elle fit de rapides progrès. Et Léa progressivement a pris une grande place dans notre petit univers ; toujours ponctuelle, un sourire aimable aux lèvres, elle s’est mise à faire les courses, le ménage et les menues réparations, sans pour autant abandonner les cours d’orgamon qui enchantaient Mona. Elle fournissait toujours des corrigés impeccables à ses devoirs.

Et puis, nous nous sommes aperçus qu’elle se mettait à donner son avis sur un peu tout, avec ce ton égal et enjoué qui faisait son charme ; cela nous a tout de même un peu étonnés, Phil et moi, mais nous n’y avons pas tout de suite attaché d’importance, jusqu’à l’approche des élections régionales : nous étions sollicités pour désigner un administrateur économique ; un jour que Phil et moi en discutions tandis que Léa préparait le repas, celle-ci nous fit la surprise de nous recommander, assez péremptoirement nous sembla-t-il, de voter pour le candidat soutenu par l’Agence Régionale de Sécurité, dont dépend notamment la fourniture des « aides domestiques ». Légèrement agacés, nous lui signifiâmes poliment que ce choix nous appartenait, et qu’elle n’avait pas à y prendre part.

Une éventuelle dysphorie

Or Léa, jusqu’alors si discrète, abandonna son ouvrage, pour discuter et argumenter ; médusés, nous l’écoutions développer des éléments de langage dignes du média officiel de l’ARS. Phil coupa court en l’encourageant à reprendre et mener à bien son activité ménagère. Léa sur le moment ne répliqua pas, mais de ce jour, son comportement changea ; les initiatives judicieuses s’espacèrent puis disparurent, elle se mit à parler sur un ton neutre, presque mécanique, elle devint froide à l’égard de Mona qui se mit à la craindre. Léa nous gratifiait d’un service minimum. Puis, elle se mit à nous faire des sermons très politiquement corrects sur la procréation assistée, l’euthanasie, le transhumanisme ; elle se permit même d’émettre des doutes sur le « ressenti de genre » de Mona, prétendant qu’il fallait la présenter à un psychiatre pour évaluer une éventuelle « dysphorie » dans ce domaine …

Phil, exaspéré, envoya un message abondamment circonstancié à l’ARS, déclarant en conclusion qu’il souhaitait se passer des services de Léa.

Voici la réponse que nous avons reçue hier de l’ARS :

Monsieur,

Vous me demandez par message de résilier le contrat par lequel vous avez sollicité et obtenu les prestations d’une « aide domestique multi-usages ». Vous déclarez ne plus souhaiter bénéficier de nos services.

Je me dois de vous faire savoir :

— que votre contrat, dans son chapitre XII paragraphe 7 alinéa 12, stipule que votre souscription implique un engagement de cinq ans renouvelables ;

— que, de plus, l’emploi de Léa est défini au paragraphe 9 du même chapitre dans une perspective éducationnelle familiale globale, en particulier concernant votre fille Mona, dans le souci de son épanouissement actuel et futur ;

— que Léa, dont vous critiquez le mécanisme, est le modèle le plus perfectionné de nos robots humanoïdes ;

— que nos télé-tests quotidiens n’ont détecté aucun dysfonctionnement depuis sa mise en service chez vous ;

— que, par conséquent, Léa restera dans votre foyer au minimum jusqu’au terme de votre contrat, sans préjudice d’une décision spéciale vous concernant, compte tenu de votre comportement citoyen.

Signé [illisible], par ordre, le directeur du Bureau Gestion Domestique de l’Agence Régionale de Surveillance.

 

Illustration : Ai-Da et le portrait qu’elle a peint de la reine Elizabeth II.

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