L’on sait – et c’est, assurément, ce que nos contemporains « savent » le mieux » quand ils ont exhérédé tout le reste, à savoir ces fameuses humanités qui, jadis et naguère, magnifiaient l’« honnête homme » – les usages et mésusages, us et abus de la race dans le champ (du/de la) politique – pour nous en tenir uniquement à cette activité humaine principale, bien que le propos puisse être étendu à la sociologie ou à l’histoire, disciplines passées récemment sous influence « woke ». En 2005, Alain Finkielkraut déclarait que « L’antiracisme sera le communisme du XXIe siècle » (Haaretz, 18 novembre 2005). Avec Pierre-André Taguieff l’on peut souligner que « l’idée de race semble avoir pris une importance croissante, dans la pensée européenne, depuis la fin du XVIIe siècle », ce jusqu’à son ultime déclinaison « éthique » qu’est l’« antiracisme ». Aujourd’hui, le mot « race » est miné et quiconque s’aventure sans précautions sur ce terrain instable s’expose aux pires déconvenues. Il est pourtant obsessionnellement omniprésent sur le mode « n’en parler jamais, y penser toujours ». Tel un truisme, la race irrigue et innerve, explicitement ou par prétérition, la weltanschauung de la modernité. Pour le dire autrement, de même qu’il se pratiquait, depuis fort longtemps, un antisémitisme européen d’habitude, existe-t-il aujourd’hui un « race-isme » d’atmosphère. Mais (comment) peut/doit-on penser « la » race – et, corolairement, ces « ismes » hyperboliques que sont le racisme, voire le racialisme ? La race est-elle susceptible de faire l’objet d’un étonnement philosophique ? Formulée en ces termes, la question peut non moins étonner, car « la » race se trouve ainsi « normalisée » comme le serait, par ailleurs, la violence, la conscience, la justice, la vérité ou la liberté, toutes notions proprement « philosophiques », si l’on en croit les programmes de l’enseignement terminal éponyme de l’Éducation nationale, qui ignorent la race, sauf à l’appréhender de manière oblique et incidente par le truchement de distinctions lexicales et conceptuelles instrumentales (« Genre/espèce/individu », « Identité/égalité/différence », « Universel/général/particulier/singulier ») accompagnant l’enseignement de ces notions.
La pensée à voie unique
Si l’on part du postulat que la philosophie conduit à la vérité, alors escompterait-on déboucher sur une quelconque vérité philosophie de « la » race – comme de ses surgeons précités ? Voire. Si l’anthropologie, la zoologie, la sociologie ont apporté, dans leurs sphères épistémologiques respectives, leurs contributions à la compréhension des races – comme illustrations prétendues ou non de la diversité humaine – et de « la » race – comme catégorie inhérente ou non à l’humanité –, la philosophie, quant à elle, semble se terrer dans un impensé. Ainsi, lorsque l’on affirme que « le racisme n’est pas une opinion » – pour ajouter, causalement, qu’elle est un délit – a-t-on spontanément la certitude consciente d’énoncer une vérité – confortée par le droit, qui plus est. Mais une telle assertion ressortit au lieu commun le plus éculé– sinon du préjugé ou du sophisme – sans qu’elle n’épuise aucunement toute interrogation sur sa validité philosophique fondamentale : en quoi et pourquoi le racisme (ne) relèverait-il (pas) de la liberté de penser ? En quoi (et pourquoi) la réponse à ce questionnement (ne) contiendrait-elle (pas) une vérité ? C’est à cet endroit, comme nous exhorte Heidegger, qu’il importe de s’extraire des rets de « la pensée à voie unique » : « l’expression « à voie unique» est choisie à dessein. La voie rappelle les rails, et ceux-ci la technique. […] La pensée à voie unique qui se propage de plus en plus et sous diverses formes est un de ces aspects de la domination de l’essence de la technique. ». (Qu’appelle-t-on penser ? [1951-1952, 1973]). La race s’est transportée du champ intellectuel de la sémiologie vers celui mécanique, industriel et déshumanisant de la technique. Le tabou de la race (et son antiracisme totémique) provient de sa contamination technicienne : parce qu’une communauté humaine est ravalée/réifiée à son essence raciale exclusive, la lutte contre cette essentialisation passerait mécaniquement par les voies uniformisatrices de ce que Renaud Camus qualifie de « matière humaine indifférenciée ». Or, la connaissance des/de la race(s) manquera toujours l’essence de sa quête, à l’instar de l’historien qui, nonobstant son encyclopédisme sur une ère donnée, « ne trouvera jamais sur le chemin de l’histoire ce qu’est l’histoire ». La surrection du fond des âges du « profond murmure » bernanosien de la race – dynastique, familiale, spirituelle… – ne rassasie plus la voracité infernale de nos époques déspiritualisées et dépoétisées. Au mitan des années 1970, on répudia la race, d’hitlérienne et sinistre mémoire, à laquelle on substitua le racisme. Le racisme (et son double « anti »), comme terrifiant projet pré-transhumaniste de changement de l’homme caractérise la modernité technicienne. De fait, ce n’est pas parce que notre époque est celle de la race qu’elle est une époque raciste, c’est bien plutôt parce qu’elle est raciste qu’elle est l’époque de la race. Gageons que nous n’en soyons, hélas, qu’aux prodromes…
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