France
Gouvernement : l’inavouable responsabilité
Si on lit la Constitution de 1958, le Gouvernement est responsable devant les parlementaires avec la faculté pour l’Assemblée nationale de refuser la confiance ou de voter la motion de censure.
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Nul ne contestera l’impérieuse nécessité de lutter contre les travers moraux, sociaux et sociétaux des sociétés contemporaines, périlleux à terme, pour la civilisation et, partant, les individus qui la composent. Cependant, ce combat pour les valeurs doit intégrer une capacité de discernement fondé sur l’intentionnalité (ou l’absence d’icelle) découlant d’un choix idéologique visant la destruction (affirmée ouvertement ou par une altération profonde travestie en évolution) de cette civilisation.
En effet, si les travers que nous évoquons sont de toute façon, dans tous les cas, délétères, ils le sont plus ou moins selon le processus de leur irruption et de leur influence dans la société, et, plus spécialement, suivant qu’eux-mêmes ou les décisions et moyens de les combattre font ou non l’objet d’une instrumentalisation par divers lobbies ou par le pouvoir politique. Car cette instrumentalisation des travers ou du parti-pris de les combattre se révèle en définitive plus pernicieuse qu’eux-mêmes, leur adjoignant des effets pervers particulièrement corrosifs.
Prenons le cas de la question du mariage homosexuel. Les partisans de la loi Taubira du 17 mai 2013 l’instituant l’ont présenté comme une avancée des droits de la personne et des libertés publiques, ainsi que comme le fruit d’une évolution naturelle de la société et de la civilisation. Dans un opuscule récent intitulé Vers l’extrême. Extension des domaines de la droite (éd. Dehors, 2014) dont nous avons récemment fait la critique, Luc Boltanski et Arnaud Esquerre reprochent à la gauche d’avoir considéré cette mesure, dont l’élaboration et la discussion puis le vote par les députés, donna lieu à tant de critiques et de manifestations hostiles, « comme un exploit au-delà duquel il ne faudrait plus s’aventurer », alors qu’il s’agit d’une initiative législative naturelle et banale « qu’une droite de gouvernement a réalisé dans le même temps au Royaume-Uni ». Certes ; l’institution du mariage homosexuel outre Manche n’a pas donné lieu au déchaînement de passions auquel nous avons assisté en France. Et la même sérénité a pu être observée dans des pays aussi différents que la Belgique, le Luxembourg, le Danemark, la Norvège, la Suède, la Finlande, l’Islande, l’Irlande, l’Argentine, l’Uruguay, les États-Unis, lorsqu’ils ont institué ce type de mariage. Seulement voilà, il existe entre eux et notre nation une différence fondamentale, qui est la suivante : chez eux, cette mesure ne procède pas d’une volonté de subversion sociale, éthique et culturelle, ce qui est le cas chez nous.
Lorsque M. Cameron, Premier ministre tory du Royaume-Uni a fait voter la loi instaurant le mariage homosexuel, il n’a pas conçu cette initiative comme un élément d’une révolution culturelle destinée à modifier radicalement l’échelle des valeurs morales de la société britannique ; même des États de forte tradition sociale-démocrate comme les pays scandinaves n’ont pas été animés par cette funeste ambition ; quant au Luxembourg, il demeure, en dépit de cette loi, et à l’esprit même de ceux qui l’ont proposée et votée, un paisible et prospère grand-duché, bourgeois et conservateur. Rien de tel en notre beau pays taraudé par l’obsession révolutionnaire de forger l’homme nouveau d’une société nouvelle, rompant avec toute tradition. Il faut être honnête et lucide : à la différence de ce qui se passe dans les pays que nous avons cités ci-dessus, lorsque nos dirigeants ont légalisé le mariage homosexuel, ils ont été animés de la volonté de détruire la famille traditionnelle fondée sur l’union matrimoniale civile et religieuse de deux personnes de sexe opposé et composée de parents et d’enfants de leur chair juridiquement reconnus comme tels.
Ils ont voulu faire de l’individu la cellule de la société en lieu et place de la famille conçue par eux comme une structure toute relative dont la composition dépend du seul caprice de ceux qui la forment, et qui la font, la modifient et la défont suivant leur fantaisie ou les aléas ou de leur parcours social. Ils veulent qu’un couple gay ou lesbien avec ou sans enfants, ou qu’un groupe hétéroclite composée de deux concubins divorcés qui se sont rencontrés par hasard, du fils de l’un et de sa petite amie (ou de son petit ami), de la fille de l’autre et de son boyfriend (ou de sa girlfriend) du moment, soient reconnus légalement avec pleine égalité de droits et de dignité avec les familles traditionnelles (ringardes ?), ce qui n’est pas le cas des dirigeants des autres pays ayant institué le mariage homosexuel. M. Cameron ne ressemble pas à M. Hollande, et Mme Theresa May n’a rien, mais alors rien du tout, d’une Christiane Taubira.
De semblables observations peuvent être faites relativement aux questions liées à l’immigration et à la multiplicité culturelle.
Tous ceux qui prétendent ridiculiser le pessimisme et l’affolement des adversaires de l’immigration massive et du multiculturalisme, destructeur des identités nationales, ethniques et culturelles, et veulent voir en ces phénomènes calamiteux une bénédiction, nous invitent à considérer, afin de nous rasséréner, les pays comportant une forte (et bigarrée) proportion d’immigrés, et qui, prétendûment, ne s’en portent pas plus mal, le Royaume-Uni et les États-Unis en premier lieu.
Tout d’abord, il n’est pas avéré, loin de là, que les autochtones de ces pays admettent tous, de bon cœur, le sourire aux lèvres et l’âme en paix, ces légions d’allogènes sur leur sol et parmi eux.
Mais surtout, en ce domaine aussi, il convient de distinguer entre l’état d’esprit des acceptants de l’immigration à l’étranger et en France.
Au Royaume-Uni, cette acceptation ne procède de rien de plus que de l’esprit de tolérance, du traditionnel libéralisme anglo-saxon, des principes des droits de l’homme et du refus de toute discrimination. Et, là encore, rien de tel en France où l’immigration et le multiculturalisme sont utilisés aux fins d’une révolution culturelle et sociale. On se souvient de Mitterrand, Président de la République, déclarant publiquement, à propos de l’immigration : « Je veux qu’on [les immigrés] bouscule les coutumes et les habitudes françaises » , des campagnes de SOS Racisme (dont le chef dirige aujourd’hui le PS) non contre les discriminations ethniques, mais en faveur du melting pot, des panneaux et affiches de propagande socialistes exaltant « La France de toutes les couleurs » (et représentant trois garçonnets respectivement de races blanche, noire et jaune), des innombrables propos de journalistes de plume et de voix vantant les mérites de l’immigration, des initiatives prises par certains services publics et certains super et hypermarchés d’introduire des panneaux signalétiques en arabe et en portugais à l’usage des immigrés.
Cette propension à la dissolution de l’identité nationale par le multiculturalisme n’était d’ailleurs pas toujours le fait de la seule gauche : remémorons-nous l’ineffable livre de Bernard Stasi (centriste) intitulé de manière provocante L’immigration, une chance pour la France (Laffont, 1984). Si bien qu’aujourd’hui, les musulmans imposent le respect de leurs préceptes et traditions religieuses au niveau de l’alimentation de nos concitoyens, de leur mode de pensée, de leur propos écrits et oraux, et de la tenue vestimentaire des femmes. Ils ne le font pas (ou ils le font beaucoup moins) en Grande –Bretagne, aux États-Unis ou au Canada, où, pourtant, ils sont proportionnellement beaucoup plus nombreux. Pourquoi cette différence de comportement ? Eh bien tout simplement parce qu’ils savent que la France est un pays de tradition révolutionnaire travaillé en permanence par l’idéal pervers de l’avènement d’une société cosmopolite et égalitaire étayée sur la table rase du passé et l’éradication de toutes les caractéristiques et traditions culturelles et éthiques spécifiquement françaises.
Et ils savent que la gauche, ses innombrables réseaux et relais sociaux et politiques et les lobbies satellisés par elle font tout en permanence pour qu’il en soit toujours ainsi et imposent, par le jeu de l’intimidation, leur conformisme intellectuel et moral à toute la population, à toutes les catégories sociales, et même à leurs adversaires de droite. Et il en va de même dans les pays étrangers politiquement et/ou culturellement dominés par la gauche, tout particulièrement les Pays-Bas et les pays scandinaves. Au contraire, dans les pays où, malgré leur nombre, le terrain politique, éthique et culturel ne leur est pas aussi favorable, ils se gardent de tout prosélytisme agressif.
Considérons à présent les actions entreprises pour lutter contre le vice sous ses diverses formes, sanitaire et morale. Depuis plusieurs décennies, nos gouvernants mènent la vie dure aux fumeurs et aux buveurs. Et ils entendent lutter avec fermeté contre la prostitution. A priori, rien là que de très normal. Le travers consiste ici en ce que nos dirigeants ne se bornent pas seulement à prévenir l’individu et à défendre la société contre les conséquences dommageables du tabac, de l’alcool et de la prostitution, mais entendent les éradiquer totalement, absolument, et édifier une société idéale composée d’hommes et de femmes sans défaut, ni vice, ni faille, habités par une morale supérieure, pénétrés du sens du devoir et animés par le souci du bien commun. Il s’agit là d’un avatar de l’idée de création d’un homme nouveau, chère aux marxistes et aux socialistes en général, qui est lui-même une version laïcisée et pervertie de la Cité de Dieu augustinienne (ce qui ne manque pas de piquant de la part de d’un Etat laïc).
Réminiscences mêlées de Savonarole et de Robespierre (avec peut-être un zeste de Thomas Münzer ou de Pol Pot). Nos dirigeants, tous particulièrement ceux d’aujourd’hui sont à deux doigts de mettre les fumeurs hors la loi et interdisent la prostitution quand autrefois, Saint-Louis, le plus chrétien et le plus moral de nos rois se contentait de cantonner les prostituées parisiennes et leurs clients dans le quartier de la rue Saint-Denis, ainsi que le rappelle Yves-Marie Adeline dans sa Philosophie de la Royauté (Via Romana, 2015). Il convient certes de lutter contre le vice et de faire prévaloir une morale publique forte, mais il faut également avoir conscience que l’homme est un être faible naturellement enclin à la perversion, que l’idéal n’est pas de ce monde, et qu’à vouloir faire advenir le paradis sur terre, on y installe l’enfer.
En définitive, c’est cette obsession de vouloir édifier un homme nouveau pour une cité idéale qui rend particulièrement dangereuses les initiatives sociétales de nos dirigeants, qu’il s’agisse de mesures « libérales », individualistes, comme le mariage homosexuel, la PMA, la GPA (encore proscrite, mais tolérée de fait par les tribunaux), l’acceptation enthousiaste du multiculturalisme, ou d’actions répressives comme celles visant le tabagisme ou la prostitution (ce qui, bien entendu, ne signifie pas que les travers favorisés ou réprimés par ces mesures ne soient pas nocifs en eux-mêmes, tout au contraire).
La France contemporaine est une nation fondée sur une Révolution caractérisée par une volonté de rupture radicale avec le passé, la corruption de l’idée de tradition (devenu tradition « républicaine ») et la promesse de l’avènement d’une civilisation universaliste et égalitaire, qui a pour conséquence que toute politique, singulièrement dans le domaine social, est rapportée à cet idéal, conçue comme un moyen d’y tendre ou d’en préparer la réalisation concrète, et donne lieu, du même coup, à un débat incandescent articulé autour de la question d’un choix de société et de civilisation. C’est ce qui fait que les mauvaises initiatives sociétales (qui sont également mauvaises à l’étranger) revêtent en France un caractère alarmant. Leur nocuité réside tout autant (et peut-être plus encore) dans leur inspiration que dans leur contenu juridique. Elles visent à faire disparaître la société et la civilisation telles qu’elles sont et demeurent, en dépit de tout, à travers les âges, et à permettre l’avènement (pourtant impossible, ce qui rend l’essai d’autant plus calamiteux) d’une humanité universaliste de mutants anonymes. Pour cette raison fondamentale, leur adoption sous d’autres latitudes ne saurait valoir argument.