Recevez la lettre mensuelle de Politique Magazine

Fermer
Facebook Twitter Youtube

Article consultable sur https://politiquemagazine.fr

La loi, la justice et l’ordinateur

Justice. Le monde devient de plus en plus inhumain. Le gouvernement des choses remplace le gouvernement des hommes.

Facebook Twitter Email Imprimer

La loi, la justice et l’ordinateur

Une fois encore le monde judiciaire est en émoi. La corporation de la basoche frémit. Les avocats appellent à la grève et réclament la concertation. L’émotion gagne au nom des droits de l’homme, des droits de la défense, de la démocratie.

Pour un vieux qui a passé cinquante ans et plus dans la profession, c’est évidemment le scepticisme qui l’emporte. Le pouvoir légifère par ordonnances ? Mais, en cette matière, quelle serait la nécessité de débats au Parlement ? En cette matière et dans les autres, puisque le Parlement, soumis à la loi de la majorité, vote les textes préparés par le Gouvernement… les compliquant un peu plus, parfois.

Technique ou esprit

Nous subissons une énième réforme, essentiellement technique, qui n’est pas meilleure que la précédente, qui est moins idéologique, mais plutôt technologique…, ce qui peut être plus dangereux, mais que, déjà, depuis plusieurs décennies, le chœur des intervenants – avocats compris – préparait.

« Vous serez le Bâtonnier de l’ordinateur », disait-on, en 1972, au Bâtonnier nouvellement élu. Nous étions quelques-uns à penser que la profession, toute la profession, magistrats compris, avait besoin d’un autre enthousiasme que celui de l’ordinateur.

Maintenant, nous sommes dans le « tout dématérialisé » qui doit permettre rapidité, simplicité, efficacité. Pourquoi pas ?

Cependant, certaines constantes anciennes sont présentes et significatives. Ainsi la procédure de divorce est simplifiée au point que l’audience de conciliation préalable disparaît. Cette suppression est concomitante à l’extension de la procédure obligatoire de conciliation… à tous les procès civils. Donc, toute procédure, pour qu’elle soit recevable, sera précédée d’une tentative de conciliation, devant un conciliateur de justice, sauf la procédure de divorce !

Les contestations des contributions à l’entretien des enfants et de pensions alimentaires seront généralement résolues sans l’intervention du juge, sauf cas complexes.

Le divorce est ainsi passé, en un demi-siècle, du débat important et dramatique parce qu’il touche à l’intime de la personne et de la famille, à une formalité qui ne nécessite même pas l’intervention d’un juge. C’est dire ce que représente le mariage, qui n’est plus une institution-mère de la société, mais un aménagement provisoire de la vie en commun, aussi aisé à défaire qu’à ne pas faire. Restera à voir ce que sera la rupture du concubinage ou du pacs, qui, elle, sera soumise à conciliation préalable !

Un droit sans âme et sans principe

Pour le reste, comme je l’ai déjà dit, on regroupe, on restructure, on supprime, on rationalise.

L’originalité de ce projet de loi par rapport aux précédents est l’absence de toute hypocrisie. Plus aucune référence aux grands principes…, plus aucun souffle même idéologique. Un propos de technicien froid, voire glacé. Pour ses rédacteurs, le justiciable est manifestement une source d’ennuis qu’il faut canaliser, le juge un technicien à qui il faut simplifier la tâche pour qu’il aille plus vite. L’avocat est totalement inexistant, même si la représentation par avocat est paradoxalement étendue à des décisions où il n’était pas présent (tribunal paritaire des baux ruraux)…

Mais c’est pour une raison de technicité.

Dans l’aspect pénal, certaines infractions pourront être sanctionnées sans l’autorité du juge et, donc, de l’avocat. On multiplie la détention à domicile pour désengorger les prisons et les peines accessoires pour réduire la durée de la peine principale !

Dans la même perspective, certains crimes (jusqu’à vingt ans de prison) peuvent être jugés par un Tribunal correctionnel qui n’aura pas à suivre la lourde liturgie de la Cour d’assises.

Le Gouvernement est autorisé à procéder à la réforme par voie d’ordonnances, ce qui est dans l’esprit (si l’on peut dire) de leur absence d’esprit.

Où sont les préceptes que le chancelier d’Aguesseau rappelait à nos juges, en leur disant : « vous êtes les dieux de la terre… » ? Le terrible ou le terrifiant, c’est qu’ils sont, plus encore qu’au XVIIIe siècle, « les Dieux de la terre ». Ils disposent de nos droits, de notre honneur, de notre liberté, de nos biens… mais sans plus aucun repère que la simplicité, la rapidité, la technicité et l’efficacité.

Il fait déjà très froid dans notre univers aussi matérialiste qu’il est dématérialisé.

Ce n’est pas la justice qui le réchauffera.

Madame Belloubet, Garde des Sceaux, n’est pas le chancelier d’Aguesseau.  Elle préside des chantiers ! Politique magazine

Madame Belloubet, Garde des Sceaux, n’est pas le chancelier d’Aguesseau.
Elle préside des chantiers ! Politique magazine

Facebook Twitter Email Imprimer

Abonnez-vous Abonnement Faire un don

Articles liés