France
Gouvernement : l’inavouable responsabilité
Si on lit la Constitution de 1958, le Gouvernement est responsable devant les parlementaires avec la faculté pour l’Assemblée nationale de refuser la confiance ou de voter la motion de censure.
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Vous expliquez qu’il est absurde de dire que les Lumières sont de gauche mais que l’on peut affirmer que la gauche est le parti des Lumières. Selon vous, où se situe l’origine de la gauche ?
C’est une idéologie qui s’est constituée au cours du temps. Une vraie doctrine de gauche apparaît à la fin du XIXe siècle chez les penseurs de la République. Disciples de Kant et de Comte, ceux-ci se tournent vers les Lumières et affirment qu’ils s’y reconnaissent. Pour autant, les Lumières comportent un certain nombre de valeurs conservatrices dont on ne peut, objectivement, affirmer qu’elles sont de gauche.
Et la Révolution française… Est-elle de gauche ?
D’une certaine façon, oui. Pour le dire mieux, la gauche est devenue, a posteriori, le parti de la Révolution. Sous la IIIe république, les Républicains puisent à la fois dans les valeurs de 1789 et dans celles des philosophes du XVIIIe siècle pour revendiquer une filiation et un héritage. De fait, à cette époque où elle naît véritablement, la gauche est le parti de la République triomphante contre celui de la monarchie finissante.
« La Révolution est terminée », disait François Furet. Est-ce la raison de l’hégémonie intellectuelle de la gauche en France ?
Absolument. Si la gauche dispose aujourd’hui d’une telle hégémonie idéologique par rapport à la droite, c’est parce qu’elle s’est appropriée les valeurs qui fondent notre société. Ces valeurs, qui ont été au cœur de tous les débats du XIXe siècle, font aujourd’hui l’unanimité ou presque. Je pense à la justice sociale, qui est fondamentalement une idée de gauche, ou encore à l’égalité entre les êtres humains qui se traduit notamment par l’antiracisme, véritable vache sacrée de notre temps. Sur un certain nombre de questions, la gauche détient, en quelque sorte, la légitimité républicaine.
S’interroger sur la pertinence du clivage droite/gauche vous classe irrémédiablement à droite selon la fameuse formule d’Alain…
Oui, car la droite a mis du temps à accepter ces valeurs qui sont consubstantielles à la République. Si elle a fini par les intégrer, c’est à reculons et de mauvaise grâce. Il n’en demeure pas moins qu’elle doit toujours se positionner par rapport à la gauche : idéologiquement, elle n’est qu’une non-gauche.
Elle a pourtant gouverné le plus souvent…
Les Français ont en effet souvent préféré être gouvernés par la droite bien que les thèmes de gauche soient majoritaires dans la société française. La droite considère en retour que le pouvoir lui appartient naturellement et que, quand la gauche est aux affaires, il ne peut s’agir que d’une usurpation ! Une partie de la gauche l’accepte d’ailleurs volontiers, préférant rester dans l’opposition où, pense-t-elle, elle se compromet moins.
Ce clivage droite/gauche ne vous semble-t-il pas particulièrement féroce dans notre pays ?
Certes, mais cette opposition s’est tout de même adoucie par rapport à une époque pas si lointaine où le débat politique se nourrissait d’une culture de l’extermination réciproque. En revanche, la politique française demeure foncièrement manichéenne : ce qui vient de l’autre camp est nécessairement mauvais. Pour s’en convaincre, il suffit d’entendre la droite actuelle s’opposer systématiquement au gouvernement avec une virulence de ton qui n’est pas sans rappeler celle qu’employait la gauche quand elle-même était dans l’opposition. C’est une revanche psychologique prise sur le quinquennat précédent : les sarcasmes ont changé de camp !
Comment expliquer une telle virulence ?
La France a subi depuis la Révolution une série de traumatismes – épisode de la Commune, gouvernement de Vichy, décolonisation – qui fait que ce qu’on peut appeler « l’âme française » est toujours dans une sorte de convalescence. Le mérite de De Gaulle est d’avoir cicatrisé en partie ces déchirures même si les plaies restent vives.
Vous parlez d’une tentation totalitaire au sein de la gauche…
Le communisme a marqué une césure radicale dans l’histoire des gauches. Si le stalinisme a disparu, la tentation autoritaire est toujours présente au sein d’une certaine gauche comme le montre par exemple le régime de Chavez…
N’est-ce pas parce que la gauche n’a jamais au fond résolu la question de la représentation ?
Qu’est-ce que « le peuple », interroge la Révolution ? Une entité abstraite qui s’exprime par le suffrage universel. Soit. Or, pour Rousseau, la souveraineté ne se délègue pas. Cette question de la représentation va être le problème central auquel vont être confrontés les démocrates. Dans le cadre des régimes totalitaires se réclamant de la Révolution française et de la pensée marxiste, le « mécanisme » est très clair. La souveraineté du peuple devient celle de l’Assemblée, puis celle du parti, puis celle du secrétaire général : c’est l’Union soviétique. Aujourd’hui, on admet implicitement que la souveraineté s’exprime de différentes façons : par le suffrage évidemment, mais aussi au travers de l’opinion publique, par la manifestation, la pétition, etc. Les démocraties modernes ont résolu le problème de cette façon.
Finalement, le clivage droite/gauche ne tend-il pas à s’estomper ?
Contrairement à ce que nous disent les sondages, je constate pour ma part que cette division ne s’est jamais si bien portée. Elle est historiquement fondamentale dans de nombreux pays. C’est en France, paradoxalement, qu’on y a été le plus réfractaire. Voyez l’importance du centrisme dans notre pays. Peu de nations ont prôné l’unité avec autant d’énergie. Mais il me semble que nous sommes aujourd’hui entrés dans l’ère du bipartisme, ce dont je me réjouis car la nature du corps politique est d’être divisée. L’acceptation de cette division est le b.a.ba de la démocratie. Un certain réflexe unitaire persiste cependant au sein de la population – les Français détestent les partis politiques ! – qui se traduit politiquement, à droite et à gauche, par le populisme.
Dernier livre paru : Les Gauches françaises, 1762-2012 : histoire, politique et imaginaire, Flammarion, 944 p., 25 euros.