Notre actuel Garde des Sceaux, à l’image de ses prédécesseurs, a réuni de nombreuses autorités pour définir « l’office de juge au XXIe siècle ».
[groups_non_member group= »Abonné »]
[/groups_non_member]
[groups_member group= »Abonné »]
Le rapport est disponible sur le site du ministère. Le lecteur ne sait trop ce qu’il faut admirer, ou déplorer, du style – ou de l’absence de style – des rédacteurs. Dans ce discours difficile d’accès, la pensée, une fois l’obstacle passé de la formulation prétentieuse, paraît extraordinairement sommaire, pour ne pas dire inexistante. Le poids des mots a étouffé l’essor possible des idées. Écoutez plutôt ce prologue : « La juridiciarisation, phénomène d’abord qualitatif, est le signe d’une crise dans le sens d’une mutation, elle signale la recherche d’un nouveau mode de régulation. Le procès devient une manière de mettre en scène, de mettre en sens la consistance humaine, « une démocratie procédurale » à la portée de tous selon la formule de Serge Guinchard ».
Si le lecteur n’est pas lassé, on peut lui proposer un petit complément qui lui donnera une idée du concerto : « Que faire lorsqu’une demande de justice quasi infinie se croise avec des ressources de plus en plus contraintes ? La réponse apportée ces dernières années a été managériale et a introduit une tension entre les principes qui guident le jugement des situations individuelles, ce qui caractérise l’acte juridictionnel, et l’impératif de gestion des flux. » On traduit : nous avons beaucoup de procès et peu de juges pour les trancher. Et alors ! Quelle est la nouvelle solution ? « Nous proposons de chercher la solution dans la démocratie procédurale, qui reconnaît à chaque citoyen non seulement des droits fondamentaux mais aussi la capacité de conduire sa vie, un modèle qui valorise la capacité d’action de chacun, et spécialement celle de passer des accords ».
Là encore, il faut traduire : l’État va se décharger sur le citoyen, dans un projet qui sera appelé « civique », de ce qui est sa fonction d’État. Il va démissionner.
Citoyen justicio-responsable
Ainsi, pour la justice, qui est sa première fonction, l’État explique que c’est le citoyen responsable qui, dans une démarche démocratique, va régler lui-même ses différends. D’où une prolifération de « procédures » d’accord, de médiations, de rencontres, de compromis. Tout sauf juger ! Et quand il s’agira de juger, développement, à tous niveaux, y compris au niveau de la poursuite (le Procureur de la République) du principe de collégialité, de consultation, de coresponsabilité…
A l’opposé absolu, nous avons, il y a huit cents ans, cette image d’une permanence si essentielle qu’elle devient d’une brûlante actualité : le souverain, exerçant comme première fonction la justice, écartant les intermédiaires, laissant venir à lui les pauvres et les victimes, les écoutant, et, sans délai, disant le droit, tranchant entre le bon et le méchant, le véridique et le menteur, rendant à chacun ce qui lui est dû.
C’est cette vérité crue et vive de l’acte judiciaire que nos modernes Trissotin, Georges Dandin ou autres Taubira ne veulent même pas connaître. Mais dans la vie quotidienne des palais de justice, il faudra bien que nos juges, malgré tout ce charabia, répondent aux requêtes de Pierre ou de Paul demandant à savoir lequel des deux peut se dire propriétaire du champ, responsable de l’accident, victime ou coupable.
Une fois encore « beaucoup de bruit pour rien ». Non, pour un million et demi d’euros… le coût de cette « consultation », aux répercussions, cette fois, très concrètes.
Tout n’est pas perdu pour tout le monde.
[/groups_member]