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Dans la nuit du 30 octobre : un putsch législatif en France

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Personne n’est au courant, mais notre droit des contrats est menacé de manière imminente.

En effet Mme Taubira a sollicité du Parlement l’autorisation de réformer cette partie du Code civil par voie d’ordonnances. Elle veut ainsi imposer, sans débat parlementaire, un projet qui malheureusement sur plusieurs points piétine notre tradition juridique, organise l’intrusion du juge dans le contrat et adopte des solutions juridiquement erronées.

Cette demande d’habilitation est prévue par l’article 3 du projet de loi sur « La modernisation et la simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice et des affaires intérieures » (sic). En réalité il n’en résultera aucune « simplification » pour les justiciables qui seront confrontés à 15 ans de chaos jurisprudentiel, à une insécurité juridique chronique et à l’arbitraire des tribunaux. Il en résultera surtout une dérive à l’américaine de notre système de droit. Après la famille, l’identité nationale, la propriété, la filiation, c’est un nouveau pan de la société française que le pouvoir en place a entrepris de « déconstruire », sans doute pour acclimater à terme la « common law », avidement attendue par certains groupes de pression…

Modifier par voie d’ordonnances, autrement dit par un « décret-loi », le prestigieux Code Napoléon que l’on a qualifié de « Constitution civile de la France » a paru éminemment suspect à beaucoup de parlementaires. C’est pourquoi en janvier dernier, le Sénat a rejeté cette demande d’habilitation à l’unanimité moins une voix, ce qui est tout à faire exceptionnel. Et il s’agissait alors d’un sénat de gauche, acquis en principe à la politique gouvernementale. Mais les sénateurs n’ont fait que suivre le bon sens élémentaire : seul un débat public permettrait de corriger les nombreux défauts du projet de réforme, d’éclairer le sens de certaines dispositions et de mettre à la disposition des juges comme des praticiens du droit des travaux préparatoires…

Impressionnée par ce refus, la commission des lois de l’Assemblée nationale avait décidé en mars de supprimer l’article 3 en question. Mais à la demande pressante de Mme Taubira le texte a été rétabli et adopté par l’Assemblée le 16 avril dernier. Le texte revient donc en nouvelle lecture devant l’Assemblée nationale à la suite de l’échec d’une commission mixte paritaire qui s’est tenue en mai. Le Sénat a maintenu courageusement sa position de refus.

Le vote de cette funeste habilitation est programmé pour la nuit du 30 au 31 octobre, la nuit d’Halloween (tout un symbole !) intercalé dans les travaux sur la loi de finance. Le gouvernement espère probablement faire ainsi passer le texte à la sauvette quand il ne reste plus que trois ou quatre députés dans l’hémicycle… La classe dirigeante se gargarise de « démocratie », mais on sait qu’elle n’aime guère la pratiquer, même sous la forme atténuée, contrôlée et policée du débat parlementaire.

On dit que le sujet est technique et n’intéresse pas l’opinion publique. Qu’il est affaire des praticiens du droit. C’est une apparence trompeuse. En effet, même s’il est bien moins emblématique que le droit pénal, le droit du mariage ou celui de la filiation, le droit civil des contrats concerne 100% de la population française. Combien de mariages homosexuels, combien de contrats ? Poser la question c’est y répondre.

Dans l’état actuel des choses, lorsqu’un plaideur saisit une juridiction, il y a des frais, des délais importants (le budget de la justice est sinistré) et des aléas en raison du vieillissement de l’actuel Code civil qui a tout de même 210 ans. Mais bon an mal an, les magistrats et les avocats ne s’en sortent pas trop mal car tout le monde utilise des notions connues de tous depuis plusieurs siècles : le consentement, l’objet, la cause, la force obligatoire du contrat, la responsabilité du débiteur défaillant, etc… Si une réforme s’impose, la moindre des choses est de conserver ces repères traditionnels en clarifiant les solutions jurisprudentielles qui se sont accumulées depuis la fin du XIXe siècle.

Or le projet que la Chancellerie veut imposer sans débats, outre des imperfections criantes à corriger au plus vite, verse dans l’expérimentation juridique et les innovations déstabilisantes. Tel est le cas de l’idée « d’imprévision », de l’idée de « détresse économique » permettant d’annuler les contrats, de la mise en place de la bonne foi comme condition de formation du contrat, ce qui est d’une totale absurdité : on ne contracte pas de bonne ou de mauvaise foi ! On exécute le contrat de bonne foi. Et dans la période précontractuelle, la mauvaise foi est sanctionnée en tant que faute extracontractuelle…

Arrivé à ce stade, seule une réaction des députés peut encore débrancher cette bombe à retardement et faire échec au dessein de Mme Taubira comme de sa politique de la « carte forcée ». En rejetant l’article 3 dans la nuit du 30 octobre, l’Assemblée nationale remettrait la réforme sur la voie normale, celle du débat parlementaire qui seul permettrait de réaliser les ajustements nécessaires.

Mais y a-t-il encore une volonté politique dans ce pays, une volonté politique au sens noble, celui du bien commun qui peut être aussi bien de droite que de gauche, et pas seulement une minable politique politicienne… ?

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