Le premier président de la Cour de cassation s’interroge en public, dans Le Figaro du 23 octobre, sur les écoutes téléphoniques opérées chez des magistrats de la Cour de cassation. D’un premier mouvement, il dit : « Pourquoi pas ? Nous sommes des justiciables comme les autres, gardiens de l’État de droit mais aussi soumis aux contraintes de cet État de droit…». Mais, d’un autre mouvement, il ajoute : « Nous sommes voués au secret, secret des délibérations, secret des dossiers qui sont soumis à notre examen… » et, par là, ces justiciables comme les autres ne sont pas précisément comme les autres.
[groups_non_member group= »Abonné »]
[/groups_non_member]
[groups_member group= »Abonné »]
Pourquoi ne pas dire que la fonction crée une inégalité ? Des devoirs, mais aussi des privilèges ? Non pour s’en prévaloir de façon abusive, mais pour mieux remplir sa mission ? « Vous êtes les dieux de la terre », disait le Chancelier d’Aguesseau aux juges à qui il faisait, du même coup, une leçon sévère. Car « les dieux » ne doivent pas se comporter comme n’importe qui… Ils ont des droits particuliers mais, surtout, des devoirs très lourds pour être à la hauteur de leur mission.
Cet égalitarisme de mauvais aloi (mais, y a-t-il un égalitarisme de bon aloi ?) ruine tout. Non ! Il n’est pas convenable qu’un juge d’instruction fasse écouter un conseiller à la Cour de cassation par des services de police. Non ! Il n’est pas juste qu’un avocat parlant avec un magistrat, ou avec son client, ou avec son bâtonnier, soit écouté par les services de police. On dira : mais s’ils sont en train de commettre un délit de trafic d’influence ? Eh bien tant pis ! Cela regarde leur conscience et le fait, s’il est avéré, explosera tôt ou tard. La protection de l’institution du secret rend infiniment plus de services à la justice, à la liberté et à la paix sociale que ne leur coûte sa possible transgression.
Dans la vie sociale comme dans la vie personnelle, il faut toujours accepter de prendre un risque. La prudence veut que ce risque soit calculé et l’expérience prouve qu’il vaut la peine d’être couru. Toute institution peut être détournée – aucune n’est imperméable à la corruption – mais ces dangers ne sont pas une raison de la mépriser ou de la violer au nom d’une égalité mythique et d’une « transparence » utopique. Le danger du secret n’est rien à côté des désastres qu’entraîne la destruction de tout secret. Le secret est aussi consubstantiel à l’instruction et à la délibération d’un jugement que la publicité l’est aux débats et au prononcé de la sentence.
Quand la violation de ce secret vise à mettre en cause non seulement un haut magistrat, un avocat, un bâtonnier, mais aussi les agissements d’un président de la République, on peut constater que la contradiction s’est installée au cœur même du cœur de l’État.
Marx serait heureux s’il revenait. Il reprendrait son expression favorite : « Bien creusé, vieille taupe ! »
Photo : le premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel.
[/groups_member]