Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Parce qu’il faut rassurer, il ne va cependant pas restaurer la limitation drastique de la liberté d’aller et venir telle qu’elle fut pratiquée lors des premier et deuxième confinements. Mais à tous les étages, il va pratiquer ou tolérer l’arbitraire.
Nous sommes le 1er avril 2021, Jean Castex s’exprime devant les députés. Il annonce que la consommation d’alcool sera interdite sur la voie publique. Motif de l’interdiction : « prévenir tout rassemblement et tenter de limiter la circulation de l’épidémie de coronavirus ». Jusque-là, cela pourrait se comprendre. Après tout, quand on prend un verre de façon statique, à proximité d’un bar qui se démène pour ne pas fermer, on fait courir un risque de contamination dès lors que l’on est plusieurs à s’attarder et à bavarder. Mais la mesure ne vise pas que la vente au verre. En effet, la vente d’alcool à emporter est dans le collimateur des autorités publiques. À juste titre, la décision gouvernementale a suscité l’incompréhension et la colère des restaurateurs. Il s’agissait prétendument de limiter les attroupements. Mais au risque de favoriser les supérettes et de fermer des bars qui se démenaient encore avec de maigres activités. Une décision de l’exécutif aura donc abouti à fragiliser davantage un secteur sérieusement affecté depuis un an ! Le plus absurde est qu’il est tout de même possible de commander de l’alcool, mais à condition qu’un menu soit commandé avec… Cela signifie qu’avec un plat à emporter, il y a moins de risques d’attroupement puisque consommer debout, il est vrai, ce n’est pas facile… Mais l’absurdité ne se pratique pas qu’en haut-lieu. À l’échelon local, les préfets et même les maires agissent avec une sévérité tout aussi tatillonne qu’absurde.
Nous sommes dans le département de l’Eure-et-Loir, ce département principalement rural, mais qui comprend quelques agglomérations urbaines. A priori, nous sommes loin d’être dans un département urbain comme Paris et les départements dits de la petite couronne. La probabilité des clusters y est donc moins forte, logiquement. Dans son arrêté, le préfet du département a pourtant prescrit le port du masque dans l’espace public. Ce qui est assez large, car cela vise la voie publique, mais aussi tous les « espaces publics de plein air », comme le précise l’arrêté. L’obligation de port du masque s’applique donc de 6 h à minuit. Ce qui veut dire qu’il faut porter le masque en forêt. Question : même quand on est seul et quand il n’y a personne en forêt ? Parce qu’à ce rythme, on frise l’hystérie. Pourquoi ne pas avoir visé les zones denses de l’Eure-et-Loir (se limiter, par exemple, aux communes comme Chartres) ? À Paris, une extension à toute la ville peut se comprendre. Mais en zone rurale, on cherche – en vain – la logique… Pourtant, les mesures de police obéissent au principe de proportionnalité. L’État restreint-il les libertés ? Assurément, mais il n’est pas seul. Parce que la logique de psychose est aussi partagée par les élus de nos territoires, qui ont oscillé entre assouplissement et aggravation pour ce qui concerne les mesures à prendre. Sans qu’on ne leur demande rien, ils ont pris les devants et admis des décisions absurdes et sans rapport avec la situation visée.
Nous sommes à Paris. La mairie de Paris a inventé un nouveau concept : les « coronapistes ». N’allez pas voir quelque-chose de différent par rapport à ce qui se pratique : ce sont simplement des pistes cyclables justifiées par la nécessité de ne plus prendre les transports au commun. Il faut donc développer le vélo. Très bien. Mais pourquoi avoir invoqué le prétexte du virus pour compliquer un peu plus la circulation dans Paris et alors même que moins de gens sortent de leur domicile ? Pourtant, aussi empiriquement que scientifiquement, il ressort que les lieux publics ne semblent guère avoir été des clusters. Les contaminations ont plutôt été faites en lieux clos, en famille. Les transports en commun ont beau être bondés, on notera que peu de polémiques mettent en avant le fait qu’ils ont été des clusters. Tout comme les lieux de culte par ailleurs. La polémique sur l’église Saint-Eugène-Sainte-Cécile, où les gestes barrières avaient été omis lors d’une célébration de la Vigile pascale, n’a pas débouché sur des contaminations. Ce qui démontre que la violence de la polémique obéit à une hystérisation du corps social ou médiatique. Descendons un peu plus bas, non à l’échelle de la ville entière, mais des quais d’un canal ou d’un fleuve. Ainsi, à Paris, il n’est plus question de consommer de l’alcool, par exemple, sur la voie Georges Pompidou, la voie sur berge de la rive droite. Curieusement, on ressuscite ainsi, mais dans un contexte inédit, la polémique opposant les quais hauts aux quais bas. En effet, en 2016, la mairie de Paris avait interdit la circulation aux automobiles sur les voies sur berges, donc en bas, avec pour effet de l’augmenter en haut. En 2021, on transpose la même distinction concernant la consommation d’alcool. En haut, c’est toujours possible, mais en bas, vous vous exposez à l’amende, même si la brigade fluviale aura le temps de vous prévenir de l’interdiction. Rattrapé par la patrouille (fluviale, certes) !
On peut aller encore un peu plus loin – ou bas – en se rabattant sur les comportements des agents publics. Les forces de l’ordre se démènent comme elles le peuvent. Elles sont aussi victimes de la lassitude. Reconnaissons qu’elles ne cherchent pas à fliquer la population. Ce qui est heureux. La police nationale a encore dans son ADN le souhait de punir le délinquant qui vole ou agresse, mais pas la grand-mère qui a mal mis son masque ou l’étudiant qui n’a pas respecté le couvre-feu. Mais les forces de l’ordre peuvent faire du zèle. Ce peut être le cas de certains agents des polices municipales. Tel passant a eu le malheur de payer une amende pour un masque mal posé, pour un nez qui dépasse ou pour avoir enlevé son masque en téléphonant… On pouvait juste signaler charitablement l’irrégularité au quidam en guise d’avertissement. Mais dans certains cas, on a directement infligé l’amende. Bref, dans une crise, toutes les surveillances deviennent possibles. Mais pas seulement. En gros, il faut aussi se venger du bourgeois. D’après des témoignages, on constate que certains agents locaux ont un certain ressentiment à l’égard de personnes au niveau de vie plus élevé. La crise sanitaire aura aussi réussi à réveiller des rancœurs jusque-là latentes. Bref, l’arbitraire a été à tous les étages. La crise sanitaire, c’est un peu cette transe collective où tout devient possible. Une crise où, sans jeu de mots, les masques tombent. Où tout ce qui pouvait relever de l’anecdotique ou de l’insignifiant s’offre un terrain d’action national. À l’instar de toute crise, la crise actuelle ne crée rien, mais révèle des pathologies ancrées. Désormais, tout devient public. L’État a peut-être agi en demandant le respect de certaines précautions, mais il aura certainement oublié d’appeler à la prudence dans le sens le plus classique du terme. Être prudent, c’est justement « savoir raison garder », pour garder la devise des rois. Y compris – pardon : surtout – en temps de crise.