La question du secret continue de hanter, non seulement nos prétoires et les relations de nos banques mais aussi, mais d’abord, ceux dont le métier est de percer les secrets et qui occupent les colonnes des journaux qu’ils font vendre, en révélant ce qui voulait rester caché.

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Qui ne voit le contraste ? Un avocat, bâtonnier de surcroît, poursuivi, perquisitionné, mis en examen pour ne pas vouloir révéler ce qui tient du secret de sa conversation avec son client… Et des journalistes qui étalent sur six colonnes, à la une d’un grand quotidien du soir, des informations détonantes en précisant : « Nous ne dévoilons jamais nos sources, c’est un principe intangible. »

Pourtant, dans le cas de l’affaire Jouyet-Fillon, si le lecteur veut connaître le fin mot, c’est-à-dire la vérité, sur ce déjeuner ô combien instructif sur les mœurs de nos politiques, il faut remonter à la source. Sans la source qui ne serait, selon les journalistes, aucun des deux commensaux – ni des trois, puisque maintenant nous savons qu’ils étaient trois –, nous ne saurons pas la vérité. Mais, secoués par les lecteurs de leur journal, les journalistes restent inébranlables : « Monsieur Jouyet – que nous n’avons d’ailleurs rencontré qu’à cette seule occasion – n’a jamais été une source… Il n’a fait que confirmer ce que nous savons déjà de deux autres personnes, dont une de droite, soit dit en passant ! »

Donc l’information… est venue d’ailleurs. D’où ? « Pas question de publier l’intégralité (de leur enregistrement) ni d’en accepter la saisie. Il y a dans cette conversation des propos divers et variés, dont certains relèvent du secret professionnel, d’autres de la vie privée… » (Le Monde du 18 novembre dernier).

Ainsi, la justice, ou la police au nom de la justice, peut écouter des avocats parlant avec leurs clients, des bâtonniers parlant avec leurs confrères, des magistrats de la Cour de cassation parlant entre eux, toutes personnes dont la profession, par l’importance des causes dont ils sont chargés, est tenue au secret… Et lorsque des lecteurs somment des journalistes de leur dire, au moins, « leur vérité » sur ce qu’ils ont écrit d’un déjeuner entre hommes politiques : silence !

Le bâtonnier d’Amiens sera-t-il déféré au tribunal correctionnel pour avoir respecté son devoir sacré de tenir le secret de ce qui se dit ou s’écrit, ou de ce qu’il a appris, au cours ou à l’occasion d’une procédure dont il était chargé ?

Les journalistes, même traduits en diffamation, ont prévenu qu’ils ne diraient rien.

Pourtant, ce fameux « secret des sources », n’a rien ni de légal, ni de secret. Et, dans l’affaire Jouyet-Fillon, la source qui n’est pas de droite et qui n’est pas Monsieur Jouyet nous intéresse vivement. Imagine-t-on que Monsieur Jouyet, secrétaire général de l’Élysée, ait convié à un déjeuner Monsieur Fillon, ancien Premier ministre, ancien candidat à la présidence de l’UMP et, donc, à la prochaine élection présidentielle, sans parler de ce déjeuner avec celui dont il est le secrétaire général ?

Imagine-t-on que les deux journalistes aient pu se lancer dans l’indiscrétion de ce récit sans une certitude fortement assise de la sûreté de leur source ?

Il n’y a pas besoin de chercher très loin, ni de convoquer Hercule Poirot. L’intrigue est tellement sommaire qu’Agatha Christie ne s’y serait pas arrêtée un instant. à qui profite le crime ? On devrait dire, l’information. Qui en sort comme grandi, ou au moins lavé – « Moi je n’interviens jamais dans les choses judiciaires… » – et chez qui jette-t-elle le soupçon, le trouble, la confusion ?

Laissez votre imagination raisonnable tirer elle-même la conclusion. Car nous n’en dirons pas plus… Secret des sources !

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