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Marine Le Pen, toubab en Teranga

Souhaitant s’éloigner un temps des querelles politiques françaises, Marine Le Pen a récemment séjourné à Dakar, reçue par le président sénégalais Macky Sall. Lors de ce voyage, elle a plaidé pour qu’un représentant africain siège comme membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et a présenté sa vision d’une meilleure coopération entre l’Afrique et l’Europe. Une visite qui n’a pas fait l’unanimité au pays de la Teranga.

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Marine Le Pen, toubab en Teranga

C’est un voyage presque en catimini que Marine Le Pen, députée Rassemblement National, a effectué au Sénégal. Le 16 janvier 2023, elle a débarqué à Dakar pour une visite de trois jours, préparée de longue date par ses conseillers qui souhaitaient lui offrir un autre terrain de jeu politique où elle pourrait confirmer une nouvelle stature présidentielle, loin des querelles parlementaires qui secouent la France depuis huit mois. L’enjeu est de taille pour la fille de Jean-Marie Le Pen qui a entretenu (et continue encore – NDLR) des relations avec certains chefs d’État africains lorsqu’il était à la tête du Front National, en dépit de ses nombreuses déclarations controversées sur l’immigration africaine. Un passé “sulfureux” dont tente aujourd’hui de faire table rase Marine Le Pen.

Quelques heures avant de s’envoler pour le pays de la Teranga (l’hospitalité sénégalaise, vertu publique), elle avait fait publier une tribune dans le quotidien L’Opinion où elle révélait les grandes lignes de ce voyage très peu commenté médiatiquement dans l’Hexagone. Rappelant que l’Afrique « a vu naître les racines de notre humanité », la députée du Pas-de-Calais étonne en plaidant pour que l’on redonne au « continent toute la place légitime qui est la sienne dans l’ordre politique et dans l’ordre économique ». Et pour ce faire, Marine Le Pen propose, ni plus ni moins, que le continent bénéficie d’une représentation permanente au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Elle préconise même une vision « moins dogmatique » des relations entre le Nord et le Sud, prêchant pour « l’acceptation de l’idée que l’homme, qu’il soit africain ou européen, [ne soit] pas seulement un agent économique, mais un être d’affection, de filiation et de transmission qui ne peut pleinement s’épanouir dans un système économique qui ignore ces valeurs anthropologiques fondamentales », écrit-elle.

Recréer ce lien privilégié entre la France et ses anciennes colonies

Loin des réseaux de la Françafrique qui font toujours autorité, Marine Le Pen va à l’encontre des caricatures qui persistent autour du Rassemblement National, régulièrement accusé d’être le porte-drapeau du racisme français. « Je crois à l’importance d’un authentique co-développement euro-africain » affirme-t-elle, basé sur une transparence qui n’autoriserait pas de dominants et de dominés. Maintien de la zone Franc CFA, « outil puissant de promotion des échanges et d’intégration régional » tout en laissant le choix de leur souveraineté monétaire aux dirigeants africains, accompagnement accru aux agriculteurs africains afin qu’ils ne soient plus dépendants de l’Occident, et multiplication de l’aide française à la santé contre les maladies endémiques, autant de points développés par l’ancienne Présidente du RN (2011-2021) qui se place dans la droite ligne de son déplacement au Tchad, lors de la campagne pour la présidentielle française en 2017, et qui entend recréer ce lien privilégié perdu entre la France et ses anciennes colonies.

Le choix du Sénégal n’est pas anodin pour Marine Le Pen. En dépit d’un faible score au sein de la communauté française lors des élections générales de 2022, elle considère que ce pays de l’Afrique de l’Ouest est un modèle d’alternance démocratique où musulmans et chrétiens « vivent en fraternité et en parfaite citoyenneté dans une société unie autour de ses cultures séculaires, doté d’une diplomatie rayonnante » et pourrait donc être la tête de pont de son projet. Une visite qui n’a pas fait vraiment l’unanimité au Sénégal en dépit des rares photos publiées sur son compte Twitter où elle s’affiche enjouée. Première ministre entre 2013 et 2014, députée, Aminata Touré s’est indignée que son pays accepte de recevoir Marine Le Pen. « Depuis des décennies, nos centaines de milliers de compatriotes africains vivant en France subissent les attaques racistes verbales – et même physiques – du Front national, lequel a d’abord été dirigé par son père, Jean-Marie Le Pen » a écrit l’élue dans une tribune publiée dans le mensuel Jeune Afrique. Se rappelant ses années d’études en France, elle pointe du doigt un parti qui « continue à faire du racisme, de la xénophobie et de la haine de l’autre son principal fonds de commerce politique ». Une position partagée par la députée sénégalaise Aïssatou Mbodj, ancienne ministre dans les gouvernements de Macky Sal, qui a fait le même laïus dans la presse locale.

Pas de sujets qui fâchent

Le gouvernement sénégalais comme la France ont été fustigés par Aminata Touré, très agacée par la présence de la députée française. Bien que rien ne le confirme officiellement, le président Macky Sall (qui est le secrétaire général de l’Union africaine, institution qui représente 54 pays au total) aurait reçu Marine Le Pen, durant une heure et à huis-clos, écrit dans un article le magazine Le Point. « Les autorités sénégalaises ont manqué l’opportunité de symboliquement lui signifier notre dégoût collectif du discours raciste et haineux que son parti tient depuis des décennies en France à l’endroit des Africains, à tel point que le racisme, pourtant puni par le code pénal français, est aujourd’hui banalisé voire intégré dans cette France pourtant si souvent surnommée “patrie des droits de l’Homme” » ajoute Aminata Touré qui regrette que l’on ait pas mis Marine Le Pen « dans le premier avion pour une destination qu’elle aurait elle-même choisie », nette allusion aux charters affrétés par la France pour renvoyer les clandestins en provenance d’Afrique. « Il est temps pour nos leaders africains d’avoir une tolérance zéro pour le racisme et pour tous ceux qui l’incarnent, le professent et le pratiquent. C’est ce que notre jeunesse, qui constitue 70 % de la population africaine, attend d’eux. Il est temps qu’ils veillent sur notre fierté et notre dignité » affirme-t-elle, sans toutefois préciser si elle vise la France ou le racisme ethnique très présent sur le continent.

Marine Le Pen s’est gardée d’évoquer les sujets qui fâchent, que ce soient les problèmes de visas ou ceux liés à l’immigration clandestine, pourtant un thème phare du Rassemblement national. Accompagnée de hauts-cadres du RN, la fille de Jean-Marie Le Pen s’est contentée de jouer les touristes en visitant les principales compagnies sucrières du Sénégal, des membres des Eléments français au Sénégal (EFS), qui stationnent au Sénégal de manière permanente, ou rencontrer des élus locaux. Comme au bon vieux temps. De quoi assurer à Marine Le Pen une certaine notoriété internationale, mais dont le fond restera aussi inaudible qu’incompréhensible pour nombre de ses électeurs – alors que sa proposition, n’en déplaise à Aminata Touré, est cohérente au regard des nouveaux équilibres émergents et représente une position française bien plus crédible et intéressante pour le Sénégal et bien moins insultante que les admonestations d’Emmanuel Macron, très mal perçu en Afrique.

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