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Le provocateur

Transformer Gaza en Riviera est une proposition si outrée qu’elle doit recouvrir une pensée plus subtile : et si Trump essayait de forcer Netanyahou à renoncer à son bellicisme tout aussi outrancier et les pays arabes à s’emparer enfin du problème palestinien.

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Le provocateur

(Photo by Joshua Sukoff/Medill News Service/Sipa USA)/59274569//2502050531

Depuis son élection, Donald Trump a suscité de nombreux commentaires qui ont tous en commun d’être outranciers. Est-il le diable que la plupart décrivent ? Incarnent-ils à l’inverse l’espoir de redressement que beaucoup espèrent ? La réalité semble à la fois plus simple et plus complexe. Plus simple car Donald Trump est avant tout un patriote américain (« America first ») et plus complexe car, toujours dans l’attitude du joueur de poker, il est difficile de faire la part des choses entre le coup de bluff permanent et l’objectif réellement visé. Ses déclarations sur l’avenir de la bande de Gaza en sont un exemple frappant.

Une déclaration volontairement inacceptable

Lorsqu’il a déclaré que, pour transformer la bande de Gaza en « Riviera » de la Méditerranée orientale, il fallait déplacer tous ses habitants pour les envoyer en Egypte et en Jordanie, Donald Trump a ouvertement violé un principe fondamental de l’ONU qui interdit ce qui constitue un véritable « nettoyage ethnique ». Comme l’a aussitôt déclaré Monseigneur Shomali, « l’idée de déplacer un peuple contre sa volonté et de forcer un autre État à l’absorber est inacceptable. […] Toute décision devrait être un choix libre et délibéré des deux parties1 ». Nous en sommes loin. Si Donald Trump ne croit pas à la viabilité à long terme d’une solution à deux États comme le préconisent la plupart de ceux qui disent vouloir mettre fin au conflit, il faut peut-être se poser la question de savoir si cette provocation résulte de la volonté d’un « décideur » inconscient ou s’il s’agit d’un coup de bluff pour forcer les divers acteurs du conflit à se découvrir. Disons immédiatement que nous n’avons pas la réponse à cette question mais que nous ne voulons pas trop rapidement abandonner une hypothèse au profit d’une autre

Quels sont les atouts et les faiblesses de ce plan ?

L’atout premier n’a rien à voir avec les principes politiques et moraux auxquels se réfèrent les idéologues du monde entier. Cet atout, il serait plus juste de dire cet instrument de chantage, est l’importance du champ gazier situé dans les eaux territoriales de la bande de Gaza. Ce champ énorme, que les Gazaouis n’ont pas les moyens d’exploiter par eux-mêmes, intéressent d’abord et avant tout les Israéliens, mais aussi les Egyptiens et les Libanais, ainsi que les Turcs présents à Chypre. Aucun de ces États n’a envie de voir les Américains s’en emparer et risquer ainsi de porter atteinte aux réserves de gaz qui sont accessibles à partir de leurs propres eaux territoriales. Les autres fournisseurs de gaz sur les marchés internationaux, comme les Russes, ne sont pas non plus favorables à voir les Américains réussir ce coup d’éclat et devraient donc être prêts à faire pression sur les pays limitrophes pour qu’ils s’entendent et ne laissent pas les Américains devenir d’importants producteurs de gaz en Méditerranée. Tous ces protagonistes directs ou indirects du conflit vont donc devoir se positionner.

La faiblesse principale ne résulte pas, comme on le pense trop rapidement, dans le côté immoral de ce déplacement de tout un peuple. Mais, pour construire une « Riviera » sur la bande de Gaza, outre le fait qu’il faut déplacer nombre de femmes et enfants survivants, il faut aussi déloger de nombreux combattants qui se cachent encore dans les kilomètres souterrains qu’ils ont mis en place et qu’ils utilisent avec efficacité depuis de nombreuses années. Cette dernière opération risquerait d’être très couteuse pour les armées américaines – plus que pour Tsahal, plus habitué à ce type de combats – et l’opinion publique américaine aurait certainement beaucoup de difficultés à accepter des morts pour une cause qui n’est pas en phase avec la philosophie « America first ». Le président Trump ne peut pas ne pas le savoir. Alors pourquoi ?

Que peut-il attendre du gouvernement israélien ?

Il est indéniable que la déclaration provocatrice de Donald Trump a forcé la main à Benyamin Netanyahou qui s’était déjà montré contraint d’adopter le plan de paix proposé par Joe Biden mais qu’il refusait depuis plus d’un an. Or ce plan prévoyait plusieurs phases de négociations et jusqu’à la provocation de Donald Trump, le premier ministre israélien ne semblait pas pressé, loin s’en faut, d’ouvrir la deuxième phase. On prêtait même à Netanyahou l’intention de reprendre le combat dès la fin de la première phase pour continuer à éradiquer le Hamas sans se soucier pour autant des « dommages collatéraux » qui pourraient en résulter. La restitution de corps d’otages morts en captivité pouvait être l’occasion de la reprise des combats. Selon le média italien Picole Note, le président américain a voulu montrer à Netanyahou, en « le dépassant sur sa droite », que sa politique n’était pas réaliste. Immédiatement après cette provocation, la Maison Blanche a publié un communiqué pour dire que le président américain « soutiendrait Netanyahou dans tout effort visant à rapatrier les otages ». Par ailleurs, en mettant ainsi en évidence le fait que de nombreux combattants du Hamas sont encore capables de tenir tête au gouvernement israélien, le président américain montre au Premier ministre israélien que, sans son appui le plus complet, il ne pourra pas mettre un terme à la guerre. Dès lors on peut se demander si le message premier n’est pas à destination de Benyamin Netanyahou : ou vous cessez définitivement le feu ou les États-Unis ne vous soutiendront plus inconditionnellement. Le président de l’Organisation sioniste d’Amérique, Morton Klein, qui soutient la politique du président américain, ne tient cependant pas à voir les États-Unis prendre le contrôle de Gaza, car « le prochain président pourrait avoir un avis différent de celui de Trump et vouloir inviter un million d’Arabes à s’y réinstaller ». Dès lors son action viserait-elle à convaincre Netanyahou qu’il est de l’intérêt d’Israël de mettre fin au plus tôt au conflit ?

Que semble-t-il exiger des États arabes ?

Si, au-delà de son côté provocateur, le message du président Trump à l’égard du premier ministre israélien peut donc sembler assez fort, qu’en est-il du côté des pays arabes ? De ce point de vue, il est important de noter qu’il a dans le même temps dépêché un envoyé spécial en la personne de Steve Witkoff… pour demander aux pays arabes « un plan alternatif pour Gaza » ! Il s’agirait là aussi de mettre les responsables égyptiens, saoudiens et jordaniens face à leurs responsabilités : il ne s’agit plus pour eux de prétendre qu’ils apportent – en paroles – un soutien inconditionnel aux Palestiniens mais de les contraindre à expliquer concrètement ce qu’ils proposent pour mettre un terme au conflit. Dès le lendemain de la visite de l’envoyé spécial américain au Moyen Orient, l’Égypte s’est rapprochée de la Jordanie pour préparer un plan d’action. Que sortira-t-il de tout cela ? Nul ne le sait, mais ce qui est certain c’est que les Égyptiens et les Jordaniens ont entrepris un dialogue sérieux auquel ils cherchent à intéresser les autres États arabes. Selon le journaliste de Haaretz, Chaim Levinson, le plan du président Trump est d’« amener les Saoudiens et les Emiratis à reconstruire la bande de Gaza avec l’argent des Etats du Golfe, un accord de paix entre Israël et l’Arabie saoudite, de sérieux efforts égyptiens pour mettre fin à la contrebande d’armes à Gaza, un comité arabo-musulman pour gérer Gaza, et l’annonce que le Hamas, au nom de l’unité palestinienne, renoncera au contrôle de Gaza ».

Qu’en est-il exactement ? Ce programme n’est-il pas trop beau pour être vrai ? Mais, si cela est vraiment ce que cherche le président américain, il paraît avoir les moyens de l’imposer compte tenu de l’importance de l’aide économique et technique que l’Amérique apporte à l’ensemble des pays du Moyen-Orient. Quoi qu’il en soit, les Européens, comme tous les hommes de bonne volonté n’ont-ils pas intérêt à considérer que c’est bien là le plan – osé et fragile – du provocateur américain pour lui donner une chance d’aboutir et d’organiser ainsi un retour à la paix dans cette partie du monde ?

 

Illustration : Benjamin Netanyahou, résident général du protectorat américain en Palestine.

1. Remarquons, en passant, que ce principe s’applique, toute proportion gardée, à tout phénomène migratoire imposé.

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