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Corée du Nord : comment peser dans le jeu mondial et régional ?

Kim Jong-un est d’abord soucieux de préserver son indépendance et il emploie les moyens des autres puissances pour la faire respecter. Si l’arme nucléaire est en fait son seul moyen, à l’efficacité prouvée, il en joue avec un art consommé.

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Corée du Nord : comment peser dans le jeu mondial et régional ?

Pour beaucoup d’analystes, la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) serait l’un des derniers vestiges des démocraties populaires. Parti unique, invocation du socialisme, priorité donnée à l’industrie lourde et même militarisation du pays : tous ces éléments, qui contribuent à l’image d’Épinal de la Corée du Nord, sont à charge. Mais une analyse plus fine nous rappelle que la RPDC n’agit pas différemment d’autres acteurs internationaux. L’« État-ermite » a compris que, sur la scène mondiale, il faut savoir se faire entendre et se faire respecter, pour des motifs qui lui sont propres mais pas différemment des autres pays. Cela suppose d’être puissant (cette capacité non seulement à faire mais à faire faire par d’autres, la possibilité d’être respecté, suivi, voire obéi), et la puissance suppose des moyens, et la RPDC en a peu, sauf un qui pourrait constituer l’atout idéal, comme on le verra quelques lignes plus loin.

Les difficiles conditions de la puissance

Ainsi, à la différence des États-Unis ou de la Chine, la Corée du Nord ne dispose pas d’un soft-power qui, par exemple à travers le vecteur culturel, lui permettrait d’obtenir du respect et même de l’influence. Contrairement à sa sœur du Sud, la Corée du Nord ne dispose pas de la K-pop (pop coréenne), même si elle en partage la même culture culinaire. Industriellement, la RPDC n’exporte guère et n’a pas d’atouts à mettre en valeur. Certes, elle disposerait de certains gisements de terres rares et autres minerais, ce qui est assez méconnu, mais à ce jour ils ne sont pas encore exploités. Contrairement aux pays d’Asie du Sud-est, elle n’a pas de technologie à faire valoir. Elle n’est pas en pointe dans les domaines technologiques ou même dans celui de l’informatique (si on fait exception de régiments de hackers). Sa taille ne lui permet pas non plus de chapeauter une armée capable d’intervenir loin de ses frontières. En revanche, il lui reste tout de même un moyen : l’arme nucléaire.

Pour une analyse rationnelle de l’arme nucléaire et de la balistique

Depuis les années 1990, la RPDC a mené un programme nucléaire la conduisant à un premier essai en 2006. Un deuxième a eu lieu en 2009, puis quatre autres entre 2013 et 2017. Il y a aussi les tirs de missiles, dont certains ont survolé le Japon. Pour certains, ces essais relèvent de stratégies désespérées et d’un processus d’isolement fruit d’une paranoïa. Mais l’arme nucléaire relève d’une autre logique, plus rationnelle et non centrée sur l’hubris quelconque de dirigeants. L’arme nucléaire est avant tout une garantie dans un monde de plus en plus incertain. Il y a d’abord une évidence : la détention de l’arme nucléaire évite à son possesseur d’être envahi. Empiriquement, tous les pays qui détiennent l’arme nucléaire ont échappé à des invasions de la part de leurs voisins ou d’autres. Ils ont eu la chance de ne pas connaître la guerre sur leur sol, même si l’arme nucléaire ne préserve pas d’autres dangers comme le terrorisme. On peut démontrer sans difficultés que les pays membres du « club » ont conjuré le spectre d’une invasion. La preuve peut être établie a contrario : les pays sur la sellette et qui louchaient sur l’arme nucléaire, comme l’Irak ou la Libye, n’ont pas échappé aux catastrophes militaires qu’elles redoutaient après avoir renoncé à l’atome. Ils ont été défaits militairement par une puissance étrangère. Plus près de nous, le cas de l’Ukraine, qui avait renoncé, au moment de son indépendance en 1991, à détenir l’arme nucléaire, peut être mis en exergue avec l’invasion russe du 24 février 2022. Si Kiev avait fait le choix de conserver un arsenal nucléaire au titre de la continuité de l’Ukraine avec l’URSS, l’histoire, comme avec le nez de Cléopâtre, aurait été changée… Il est peu probable que Poutine se serait lancé dans une initiative qui paraît hasardeuse et qui est quand même meurtrière et destructrice pour l’Ukraine. Cette caractéristique a bien été soulignée par les spécialistes de la géopolitique. Même la grande presse a récemment constaté ce caractère d’« assurance-survie » au regard de l’infortune subie par les non-détenteurs de l’arme nucléaire (voir « Le monde entre dans le 3e âge nucléaire », Le Figaro, 19 octobre 2022). Il est souvent dit que l’arme nucléaire est une arme destinée à ne pas être utilisée, comme l’indique la doctrine française de la dissuasion. À ce titre, comme le rappelait le général de Gaulle dans une conférence de presse tenue en janvier 1963 : « nous sommes à l’ère atomique et nous sommes un pays qui peut être détruit à tout instant, à moins que l’agresseur ne soit détourné de l’entreprise par la certitude qu’il subira, lui aussi, des destructions épouvantables ». On ne saurait mieux dire !

L’assurance-survie de la RPDC ?

Pour la RPDC, l’arme nucléaire est donc la seule véritable carte pour se frayer un chemin sur la scène internationale. Certes, cette arme a un coût, mais dans la situation diplomatique de la RPDC qui ne peut compter ni sur ses ennemis – ce qui est logique –, ni même sur ses supposés amis – ce qui est moins évident –, ce pays en est venu à se contenter d’un instrument délicat mais qui maintient encore une apparence de force. Ainsi, ses adversaires, au premier rang desquels les États-Unis, en sont réduits à de menaçants exercices militaires annuels à proximité de la zone démilitarisée (la fameuse DMZ) dont on sait qu’ils ne pourront déboucher sur une invasion du Nord à partir du Sud. Cela crée certes des tensions régulières, mais il faut aussi se rappeler que cette situation – la détention de l’arme nucléaire d’un côté et les simulations militaires de l’autre – a permis, dans le passé, certains rapprochements diplomatiques, dont les plus récents ont été la rencontre de Kim Jong-un avec Donald Trump et avec Moon Jae-in, le président de la Corée du sud jusqu’en 2022. La négociation se profilera toujours et c’est peut-être l’effet paradoxal de l’arme nucléaire que de l’avoir permise. Bien sûr, la RPDC doit recourir à d’autres moyens dans ce grand jeu régional et international. Ainsi, dans le conflit ukrainien, elle a soutenu la Russie, que ce soit par le refus de sa condamnation aux Nations Unies ou par la reconnaissance de l’indépendance de républiques séparatistes d’Ukraine du Donbass (Donetsk et Louhansk), par la suite annexées par Moscou. Mais il faut y voir des démarches opportunistes, davantage marquées par le louvoiement, plutôt qu’une véritable satellisation à l’égard de Moscou ou même une adhésion. À ce titre, récemment, la RPDC a démenti la vente d’armes à Moscou. On voit bien que la situation est plus complexe et que Pyongyang essaye de s’adapter aux circonstances, ménageant Moscou sans complètement lui donner un chèque en blanc. Car Pyongyang n’a pas oublié l’abandon d’Eltsine quand celui-ci coupa le robinet des approvisionnements à partir de 1992. Et le contentieux avec Moscou remonte aussi aux déportations de Coréens ordonnées par Staline en 1937. Les manettes de la puissance sont donc peu nombreuses. Mais quand elles existent, il faut les utiliser de manière optimale. C’est peut-être l’art de Pyongyang de faire beaucoup avec peu de moyens, même si l’un d’entre eux procure un atout incontestable. Et la Corée du Nord se révèle comme un joueur de poker aussi habile que retors.

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