L’année 2020 a été marquée par la crise sanitaire de la Covid-19 dont la gestion par les divers gouvernements mondiaux, notamment dans les pays développés, a mis en exergue la fragilité d’un système caractérisé par une économie administrée (État-providence – mais non pas souverain – oblige) par une finance libérée (imposée par l’idéologie mondialiste néolibérale). Autant, au siècle précédent, le communisme promettait des « lendemains qui chantent », autant ce nouveau paradigme occulte des « lendemains qui déchanteront ».
Une économie administrée
Depuis l’importance prise par l’État-providence, l’économie réelle n’est plus libre. Jusqu’à présent, cette absence de liberté se mesurait d’abord par la hausse ininterrompue des impôts, la disparition des entrepreneurs indépendants au profit des salariés voire des fonctionnaires, la multiplicité des normes pesant sur les agents économiques, la part prise dans le système par les assurances de toute nature qui « socialisent » les aléas et les pertes, la multiplication des indemnités, pensions, subventions et autres « salaires de substitution ». Les prix étaient par ailleurs largement manipulés par les taux différentiels de la TVA applicable, les taxes additionnelles et complémentaires, les encadrements de prix, les bonifications (sous ou sans condition de ressources) dans un monde où les notions de juste prix, de solde et de vente à perte ont été vidées de leur substance. Quand un produit « bénéficie » d’un rabais de 70 %, alors qu’il ne s’agit ni d’écouler un vieux rossignol invendu ni de liquider le stock d’un commerce en faillite, c’est que soit le prix d’origine, soit le prix de cession n’est pas honnête. Pour quel résultat ? Le consommateur ayant perdu tout repère financier relatif au prix des choses, soumis au matraquage permanent d’une publicité agressive et poussé par l’illusion d’un crédit facile et le miroir d’un emballage clinquant, n’est plus qu’un individu qui achète ce que les autres acquièrent, qu’il en ait besoin ou non.
Pourtant, il croit qu’il est libre et que ses choix sont le résultat d’une liberté éclairée. En réalité il est plutôt le jouet d’intérêts qui le dépassent. Il suffit, par exemple, d’examiner la question des automobiles. Pendant de nombreuses années, on a vanté aux Français les mérites des moteurs diesel et, pour les pousser à acquérir des véhicules qui en étaient équipés, le carburant lourd, moins taxé, a été vendu à un prix beaucoup plus avantageux. Puis, quand les producteurs auprès desquels la France s’approvisionnent ont commencé à livrer des pétroles bruts plus légers, on s’est aperçu que cette politique était techniquement et financièrement suicidaire (car la proportion de gaz, pétrole, kérosène, fuel et goudrons issus des raffineries ne dépend pas uniquement de la façon dont celles-ci fonctionnent mais aussi et surtout de la qualité du pétrole traité). Il a donc fallu rectifier le tir. Les Pouvoirs publics ne pouvant pas se tromper mais ne pouvant pas non plus incriminer les multinationales dont ils ont besoin, on a expliqué aux Français – sous prétexte de les éclairer – que leurs voitures « préférées » étaient trop polluantes, malgré les filtres à particules dont elles sont équipées, et on leur a demandé de changer d’habitudes. Les taxes sur le gas-oil ont commencé à grimper plus vite que celles sur l’essence.
L’instrumentalisation économico-financière de la crise sanitaire
Avec la crise sanitaire actuelle, on a franchi une nouvelle étape. Il n’y a plus besoin de subtils subterfuges pour administrer l’économie. La santé est devenue la seule valeur fondamentale du consommateur matérialiste ; il suffit désormais de se retrancher derrière ce nouveau paravent. Du coup les notions de « produits essentiels », de « commerces essentiels », de « services essentiels » sont devenues autant d’impératifs que chacun doit respecter. À terme, il ne devrait plus être nécessaire de harceler les citoyens par des communications téléphoniques intempestives leur expliquant ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire. Il suffira de dire : c’est essentiel, ou ce ne l’est pas. C’est essentiel, c’est autorisé ; ce n’est pas essentiel, c’est interdit.
Comme la paralysie de pans entiers d’activité risquait d’entraîner une réaction de rejet du fait de ses conséquences immédiates, on a cherché un expédient qui, en permettant de gagner du temps, laisserait la possibilité de décorréler plus ou moins bien la cause de ses effets. On a multiplié les aides d’État afin de permettre à chaque Français de conserver nominalement le même « pouvoir d’achat ». Cela était facile puisque, aujourd’hui, la monnaie ne repose plus que sur un droit, octroyé par la Puissance publique, d’acquérir des biens ou des services. D’un côté, on a distribué du pouvoir d’achat alors que, de l’autre, on interdisait de produire les biens ou les services à acquérir. On assumait donc le risque de voir les prix grimper et l’inflation repartir rapidement… ce qui aurait pu, sans avoir l’air d’y toucher, effacer une partie de la dette publique. Hélas, les populations inquiètes pour leur avenir ont mis de côté les sommes qu’elles ne pouvaient pas dépenser dans les mêmes conditions qu’auparavant. Elles ne se sont pas précipitées autant qu’il aurait fallu sur des achats par correspondance de produits importés, ce qui aurait bien profité aux multinationales et, subsidiairement à l’État qui aurait pu taxer au passage les flux financiers tout en respectant sa promesse de ne pas augmenter les impôts. Les populations, plus attachées à leur culture ancestrale qu’on ne veut l’admettre, n’ont pas eu le comportement « citoyen » attendu par les élites.
La finance libérée
Pourtant, les économistes, les hommes politiques et les journalistes expliquent à longueur de temps que nous vivons dans un monde libre où la seule richesse qui compte est celle qui est consommée. Le consommateur compulsif est ainsi considéré comme appartenant à la catégorie vertueuse des citoyens responsables, conscients et organisés, alors que les épargnants frileux constituent la caste des égoïstes intouchables.
L’œil rivé sur le taux de croissance du PIB, les banques centrales sont priées d’apporter au système les liquidités nécessaires à l’entretien du mouvement. Cela les oblige à maintenir les taux d’intérêt à des niveaux tellement bas qu’ils ne peuvent plus rien dire. Ce n’est plus pour une question morale que l’on remet en cause le prêt à intérêt, c’est pour une question d’efficacité financière ; financière et non pas économique ! Une vie économique équilibrée a besoin de taux d’intérêts différentiels et non spéculatifs pour se développer de façon harmonieuse. Plus un investissement est risqué plus le taux d’intérêt du crédit sollicité pour le réaliser devrait être élevé ; plus un investissement permet de produire un bien ou un service utile et rentable et plus il peut permettre de rembourser un taux d’intérêt important. Quand les taux d’intérêt tendent vers zéro, il n’y a plus de différence entre un projet sûr et une aventure risquée, il n’y a plus de différence entre un projet rentable et un rêve irréaliste. Si le taux d’intérêt devient négatif, alors il n’y a plus aucune raison que le projet soit sûr et rentable car ce n’est pas sur le résultat qu’il engendrera que l’on compte pour le rembourser mais sur la reconduction du crédit à son échéance.
Les riches d’aujourd’hui lègueront des dettes à leurs héritiers.
Globalement, cependant, pour que le système fonctionne, il suffit mais il faut que la masse financière en circulation augmente au rythme des promesses. Or, pour que les populations suivent le rythme qui leur est insidieusement imposé, il faut que les carottes soient toujours plus grosses et le bâton toujours plus lourd. Le crédit appelle le crédit. Ce système fonctionne tant que le « prêteur en dernier ressort » peut alimenter le mécanisme mis en place, et que les bénéficiaires de la manne ainsi répandue continuent à la constater nourrissante. Mais, dans un tel monde, l’entrepreneur qui prend un risque industriel a cédé la place, comme moteur du système, à un illusionniste capable de « vendre » un rêve à un financier.
Seule compte la finance. Le fordisme est mort ; le salarié n’a pas besoin d’être bien payé pour acheter les biens produits puisque la dette se substitue au salaire. Quant aux biens qu’on lui vend, on peut les faire fabriquer bien loin, dans un pays où il n’y a ni charges salariales, ni retraite, ni sécurité sociale et où les normes sanitaires et environnementales sont moins strictes. Ce n’est pas grave si l’assisté du « pays riche » achète à bas prix les biens produits dans les pays « émergents » puisqu’il a été subventionné pour le faire et que le crédit est devenu un droit.
Le système trouve son équilibre dans la circulation des flux financiers, le transfert des richesses de ceux qui produisent vers ceux qui consomment et dans le développement du crédit qui, à l’échelon mondial prend de plus en plus la forme d’une pyramide de Ponzi. Tant que la confiance règne, le système continue à tourner… de plus en plus vite !
Une illusoire richesse pour une impasse systémique
Mais, dans un tel système et sans qu’on y prenne garde, les mots ont changé de sens ; les concepts ont changé de nature. Ce qui fait la richesse d’un agent économique, ce n’est plus le stock de biens qu’il détient, c’est l’importance du flux qu’il peut capter. La source de la monnaie n’est plus une quantité de biens durables, mais la capacité à générer du crédit. Pour être puissant dans le monde économique d’antan, il fallait pouvoir mobiliser des biens et les monétiser ; pour être puissant dans le monde financier d’aujourd’hui, il faut pouvoir capter des flux et en distraire une partie pour son usage exclusif. On n’achète plus un bien avec des espèces sonnantes et trébuchantes mais avec un crédit, c’est-à-dire une promesse. Lorsque le système s’emballe, le crédit n’est pas remboursé ; la promesse est reconduite le jour où normalement elle aurait dû être honorée. Dans un processus de fuite en avant, ce que les riches d’aujourd’hui s’apprêtent à léguer à leurs héritiers, ce ne sont plus des richesses accumulées mais des dettes.
Soit le système monétaire, économique et financier devra être entièrement repensé de façon à permettre à chaque catégorie de population de vivre normalement en consommant ce qu’elle produit sans chercher à piller ses voisins grâce à l’arme d’un crédit apparent, soit une crise généralisée, bien plus terrible que celle dont on parle aujourd’hui, obligera tôt ou tard à remettre toutes les pendules à l’heure. À quel prix ?
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